26/08/2011

De l’exil comme territoire mental



Réflexion suite à la performance dansée de Qudus Onikeku
"My exile is in my head"

Le terme d’exil renvoie à la notion d’éloignement physique et géographique. Être ici physiquement mais être mentalement ailleurs. L’exil évoque ou convoque le lien au territoire. Mais dans le même temps ce que l’on en perçoit le plus souvent relève essentiellement de l’affect. De l’exil on garde nécessairement le sentiment de perte. Et pour cause, l’affect ne peut se passer ni du temps ni de l’espace encore moins des liens. La terre d'exil ne peut faire office ni de lieu, ni de territoire, car du territoire d'accueil, l'exilé ne veut pas en réalité tant qu'il a en tête les sensations, les sentiments passés, vécus sur la terre dont il a du s'éloigner et qu’il n’a de cesse de sublimer. Et d’ailleurs, l’exilé n’est pas dans un rapport de conquête, il ne tient pas à s’installer. Tout juste aimerait-il pouvoir vivre son exile sans trop de tracas. Il adopte bien plus souvent l’attitude du pénitent que la posture du conquérant. L’humilité est le seul habit dont il veut se parer pour, d’une part, pouvoir aborder ceux qui viendraient à sa rencontre ou qui lui proposeraient le gîte et le couvert. Et d’autre part, parce que sentimentalement démuni, même si par un pur hasard il se trouvait être un homme ou une femme fortunée. Ce n'est pas d'un manque de territoire dont souffre l'exilé, mais de sentiments, de sensations, de liens forts autrefois réels, aujourd’hui fictifs et qui le rassuraient, lui prouvaient son existence. Seulement voilà, il a du abandonner tout ce qui faisait ce qu'il était. Le voilà maintenant étranger parmi d’autres mais avant tout étranger à lui-même puisque dans les autres, ceux qui l’entourent, l’exilé ne reconnaît pas immédiatement ses semblables encore moins quand ceux-ci le renvoient sans cesse dans cet ailleurs qui n’est plus qu’une fiction. L’exilé se retrouve de ce fait en situation précaire, et par conséquent plus sensible. La situation de fragilité dans laquelle plonge l’exil peut être une force pour tout exilé qui réussi à surmonter cette épreuve.

Mais il peut aussi mener l’individu qui le subit dans une impasse, parce que de fait il ne s'y est pas et n’y était pas préparé. Sa posture de départ est donc celle du refus. Il adopte l’attitude de la victime. Il a le sentiment de devoir recommencer tout à zéro et se refuse à reprendre des chemins qu'il a déjà empruntés. D'autant plus qu'il les sait escarpés, et moralement usant. Mettant son moral et son éthique, que dis-je, sa morale, à rude épreuve. Dans son for intérieur grondent des formules qui disent que s'il avait pu, et bien il s'en serait passé de cette situation. Oui... mais le voilà contraint et forcer à vivre.

L’exil n’est pas un choix

L’on serait tenté de croire qu'il existe deux types d’exils, des exils volontaires et désirés, et d'autres non souhaités, non choisis, subis, subitement, sans préavis. Un peu comme une naissance avant terme. Mais si l’on veut être plus juste on ne parlerait pas d’exil, s’il s’agit d’une démarche motivé et volontaire. Il serait plus exact de parler d’aventure, de tourisme ou de je ne sais quoi. Car l’exil est forcément involontaire.

Dans l’aventure il y a une dimension jubilatoire qu'il ne saurait y avoir dans l’exil. L’aventurier vit sa condition comme une épreuve dont il est pleinement conscient et qu'il accepte d'affronter parce qu’il a choisi cette situation de « mise en jeu de son existence » avec beaucoup de guillemets. Par conséquent il l’assume. Il le doit. C’est ainsi, ainsi soit-il, donc ! Il n’a pas d’autre choix possible. Le choix il l’a déjà fait et ne peut revenir en arrière. Sans quoi il portera sur lui, tout le reste de son vivant, l’affront que connaissent ceux qui n’assument pas leurs choix. Avec le lot de frustrations, de mauvais sentiments, tels que l’envie, la jalousie, la rancœur, etc. que cela suppose. Il lui arrivera même parfois de plonger à corps perdu dans la mauvaise foi, juste pour garder un semblant d’espace vital face aux visages accusateurs réels ou fictifs que sa paranoïa naissante exacerbera. Seulement, étant donné qu'il s'agit d'un choix, peut-on réellement parler de péril en la demeure?

Ne devrait-on pas plutôt parler de jeu de la mort, ou pour être moins dans des références cinématographiques, de mise en situation, d'immersion total s'approchant le plus possible de la réalité? L'aventurier volontaire a logiquement prévu toutes les éventualités. Enfin… Toutes sauf les imprévus puisque par définition ceux-ci ne peuvent se prévoir et c'est bien là que se trouve le danger réel, potentiel mais imaginaire, avant tout, tant que ne se produit pas l'imprévu.

De la mort ne parlons plus

A l’inverse, l'exil est une situation d'urgence, qui, de ce fait, oblige à agir rapidement, à prendre des décisions presque au quart de tour. Trouver une solution à tous les tracas, angoisses, qu'il implique. L'exilé éprouve une soif inextinguible d'action, car il met sa vie en péril parce que suspendu au bon vouloir des administrations, de la terre d’exil et de la qualité des nouveaux liens qu’il réussira à y tisser. Et surtout parce qu'une vie mentale ne peut suffire. Le rêve ou souhait de tout exilé qui se respecte est de devenir ou d'être un citoyen, d'avoir prise sur les choses qui l'entoure. C'est entre autre de sa citoyenneté que le prive sa condition d'exilé. Rien d'étonnant donc comme le rapporte Edward Saïd que l'on trouve parmi les exilés un grand nombre de militants politiques. Mais en terre d'exil, l'exilé court après le passé et non l'avenir. Et s'il vient à se projeter vers l'avenir, il ne l'envisage pas à l'endroit où il se trouve. Parce que bien souvent il ne trouve pas légitime le fait de pouvoir prendre part à la vie civile du pays d'accueil. D'autre part, les autorités du pays d'accueil n'ont de cesse de lui rappelé, tout comme elles le font avec l'immigré ou le migrant, qu'il n'est pas chez lui. Que ce fameux "chez-lui" se trouve ailleurs. Le revoilà donc poussé à une existence mentale. Ce qui exacerbe son désir d'agir sur le réel n'est rien d'autre que ça trop grande conscience du caractère éphémère des choses et de l'existence humaine. Sa trop grande conscience de la mort. Il en fait les frais, il en éprouve la réalité. Bien évidemment il est sujet à la paranoïa mais il faut dire que nombre de faits l'y pousse, l'y invite, l'incite à côtoyer ces régions obscures.


Edward Saïd, toujours lui, affirme que dans la communauté fictive que constitue les exilés, nombreux sont les romanciers, et autres intellectuels. Il faut dire que l’imagination est très sollicitée dans une telle situation. Maintenant, dire que seul l’exil justifie cette propension à l’imaginaire, c’est sans doute exagérer. Disons que chez certaines personnes cette condition est un facteur déterminant dans l’expression d’un tel penchant.

Ce qui peut paraître paradoxal ici et qui, si l’on y réfléchit bien ne relève en rien du paradoxe, c’est qu’en définitive cette imagination débordante que l’on prête aux exilés est une projection vers un ailleurs qui s’enracine non pas dans l’avenir mais dans le passé. Le présent n’existe pas parce que l’exilé s’y refuse souvent. Et peu nombreux sont les éléments qui lui donne envie d'y adhérer ou de le poursuivre. Pourtant, le présent serait un présent, un cadeau, un don pour lui.

Il faut qu’il y ait connexion entre le passé et le présent pour que l’avenir soit envisagé comme quelque chose de tangible, de possible. D’où la danse qui sollicite le corps et la tête dans cette quête d'unité de l'individu exilé. Être présent pour ne faire qu’un. Et finalement être.

La frontière qui sépare la condition de l’exilé, de celle du migrant ou du voyageur aventurier est très mince. L’exil est forcé, le voyage entend un retour possible et même programmé. La migration entend un retour éventuel mais bien souvent ce retour est contrarié parce que soumis à la qualité des conditions de la migration. Le migrant peut se retrouver dans la situation de l’exilé, si par malchance le retour se trouve compromis et c’est bien souvent le cas. Il n’en demeure pas moins un migrant ou un immigré, selon. L’exil s’apparente à la migration parce qu’il sous-entend un retour possible. Seulement, tout comme la migration, le retour n’est pas toujours envisageable. Car d’une part, le retour est conditionné par la situation dans laquelle se trouve le pays d’origine. L’exil ayant souvent partie liée avec le politique. D’autre part, parce que l’être humain est sujet, avec l’âge, à un désir profond d’enracinement. Et c’est bien souvent à contre cœur que l’exilé s’installe définitivement dans le pays d’accueil. Mais il n’en demeure pas moins un exilé. C’est sa condition première, c’est cette dernière qui explique sa situation présente.

Et Andreï Makine de souligner face à un Bernard Pivot intrigué : « l’exil c'est la mort… C’est une forme de mort ». Mais de la mort ne parlons plus, Bernard pivote puis rebondi sur une autre question, et comme l’exige la bien séance, l’homme ne doit pas se mettre à nu et la vie de l’exilé est une vie nue, il est donc toujours prompt à se livrer dans l’espoir que son interlocuteur, lui jettera sur le corps un voile de pudeur. Cependant, Makine sait ce qui arrive à ceux qui se sont risqués dans ces domaines. Cham le fils cadet de Noé a raillé la nudité de son père, tandis que Sem et Japhet les fils aînés la recouvrèrent d’un voile. Il n’y a donc pas à dire, il y a des lieux de décence. Se mettre à nu devant un animateur télé n’est pas dans les mœurs d’Andreï Makine. La pudeur prend donc le dessus, d’autant que celui qui pose les questions est chez lui, il peut avoir la curiosité malsaine ou jouer de sa position, se sachant en position de force. Il faut dire que c’est dans son décor, dans son intérieur, sur son territoire que se joue la scène.

Que celui-ci soit virtuel ou réel, l’exil ne peut se défaire de la géographie. L’avènement de l’internet a sans doute à jamais modifié la donne pour ceux qui vivent l’éloignement mais plus encore pour l’exilé. Il semblerait en effet que sur l’échelle de la douleur qui découle de l’éloignement non désiré, l’exilé se situe sur la crête de cette mesure imaginaire. Mais nous ne l’ignorons point et si tel n’est pas le cas, bien vite nous l’apprendrons : « on ne peut supprimer la douleur, tout au plus peut-on l’atténuer ». En son temps Edward Saïd disait de cette tristesse qu’elle n’est pas surmontable, nous sommes donc tenté de dire que les nouvelles technologies de l’information ont changer ou sont, peut-être, en train de changer la donne.

Dans les « pas » de Bartleby


Quoi qu’il en soit, s'exiler c'est prendre le risque d'y laisser sa peau. Nous sommes donc tous quelque part des exilés potentiels. L’existence est un exil.
En effet, dès lors que nous venons au monde nous sommes confrontés, arrivés à un certain âge au fait qu’il faille choisir. Exilé du confort, du cocon, de la matrice mère, nous devons vivre où alors nous mourons. Et tant que nous éprouvons le complexe de Jonas, ou de Peter Pan, selon, c'est à dire, tant que nous nous refusons à affronter le monde adulte, nous sommes coincés entre la vie et la mort. D’où l’expression, « grandir c’est choisir ». Il arrive même parfois que nous croyions vivre et que soudain un élément vienne nous donner la sensation du contraire. Commence alors les grandes interrogations intellectuelles que suscite, engendre, l'exil... Commence donc l'exil.

« Être ou ne pas être, telle est la question », fait dire Shakespeare à Hamlet.

Assumer ses choix ou ne pas… Bartleby le personnage de Herman Melville, « prefer not to… » Et on le sait définitivement exilé de l’existence humaine. Il se marginalise. Au final, son choix c’est « de ne pas… ». Dans le fond, tout exilé marche quelque part dans les "pas" de Bartleby. La condition de ce dernier lui pend au nez.

Exit, par ici la sorti… Existe, crée des liens


Recréer du lien en terre d’exil est plus que nécessaire, vital. Aussi, toujours sur le fil du rasoir, les sens trop aiguisés, l’exilé se retrouve comme mise à nu, le seul repaire ou repère qu'il ait encore reste la mémoire, le souvenir. On le dit souvent à fleur de peau, comme crispé sur lui-même, ne laissant que difficilement les sensations du nouvel environnement prendre place en lui. Mais ce qu'il ignore, c'est que bien qu'il se refuse à sentir - vivant souvent dans le ressenti - il n'empêche qu'il éprouve des sensations malgré-lui. Simple principe de défense que son organisme a mis en place pour maintenir malgré tout l'individu en contact avec le terrain sur lequel il se meut. Mais, dans son for intérieur, l’exilé habite dans sa tête. Le territoire du corps ayant été déserté dès l’instant où progressivement, le temps passant comme une bande son, la distance avec le pays d’origine se creusait. Le temps et l’espace ayant partie lié, plus le temps passe plus l’écart se creuse. Il n’est qu’à se souvenir de l’équation utilisé pour calculer le temps écoulé : Temps, égale distance divisée par la vitesse.

La posture de l’exilé est férocement ambivalente. D’un côté il ne peut se contenter de vivre dans le souvenir et de l’autre il ne veut trop s’installer sur la terre d’accueil. Mais souvenons nous toujours que cette ambivalence n'est pas de son seul fait. N'oublions pas que les autorités de la terre d'accueil y sont pour quelque chose. Par ailleurs, on se méfie toujours lorsque fragilisé, comme écorché vif l'accueil semble trop idyllique. La question qui trotte toujours dans nos têtes, est : "qu'attend-t-on de moi en retour ? " Ou alors : "Quand viendra la claque ?" Bref, l'exilé est sur la réserve, sur le qui-vive. Il y a ce que veut le cœur et ce que réclame le corps.

Que cesse l’absence


Ce que dit la performance dansée de Qudus Onikeku « My exile is in my head » est dans le prolongement de ce que j’avance ici.
Le corps étant ici, la tête s’accrochant à un ailleurs qui - à force de n’être pas vu, ni vécu et donc pratiqué - en devient un fantasme, un improbable, il appartient au corps de ramener l’exilé à la raison, à la réalité. La danse devient alors le langage et le corps le support sur lequel s’écrit la douleur de l’exilé. Puisque le corps est là, il lui appartient de faire passer le message coûte que coûte. Il faut que ce qui se joue dans la tête s’incarne pour ne pas que la raison bascule. Il doit tout faire pour que cet ailleurs fantasmé, devenu une chimère à force d’éloignement, le rejoigne en terre d’exil. C’est à cette seule condition qu’une vie pleine et entière est possible. D’où d’ailleurs cette soif inextinguible d’action que j’évoquais plus avant. Et pour cela il faut que cesse l’absence qui habite le corps exilé.

Cela se passe - pour s’inscrire dans les mots et les pas de la chorégraphe Emmanuel Huynh évoquant l’étrangeté de son lien avec le Vietnam - comme s’il s’était produit une sorte de scission entre la tête et le corps. Et dans cette scission le cou ne fonctionne plus comme un lien.

Toutefois le corps apparaissant comme un moyen d’expression de ce qui se joue dans la tête de l’exilé, il faut donc que le cou retrouve sa fonction et transfère les données de la tête aux pieds.

Car, pour reprendre la formule du curateur Simon Njami « il n’y a de paradis perdu que dans le fond de nos mémoires. » C’est pourquoi je me risque à penser que le titre de la performance dansée de Qudus Onikeku sous-entend « My exile is in my head », et nulle part ailleurs que dans ma tête.

© Dagara Dakin

P.S : j'ai bien conscience de la relativité de mes propos mais faut bien que j'avance. C'est pourquoi tout commentaire sera le bienvenu. En attendant écouté ce morceau de Nina Simone qui selon moi résume bien la condition de l'exilé : "Ain't got no... I've got life"





23/08/2011

L'amour du temps de Marvel


Lundi 8 juin 00h07. Tandis qu'il explosait ses yeux sur l'écran géant d'un cinéma situé quai de Seine à Paris, sa petite amie téléphonait et laissait un message sur son répondeur. L'homme araignée faisait des pirouettes dans le bleu du ciel de New York et sa bravoure l'amenait à sauver la vie de millier de personnes. Mais lui - à la manière de ses personnages, pâles et parfois sans consistance, qui ne sont jamais au bon endroit au bon moment et qui plus tard passe leur temps à le regretter, et tenter de réparer cette absence en la remplissant de trop de présence - lui n'était pas là pour recevoir un simple appel téléphonique. Quel information renfermait ce message au juste :

"Je m'en vais, je pars, je suis parti loin de toi, il y a bien longtemps de cela, mais aujourd'hui je m'éloigne encore un peu plus plus. Je pars pour la Yougoslavie, c'est ainsi, c'est de ma vie dont il s'agit. Rester avec toi reviendrait à fuir mon être et ça je ne peux me l'imaginer. Je ne le supporterai pas et toi encore moins. Alors voilà, bien qu'il y ait de cela maintenant deux mois que je sois retourné en Pologne, ce n'est que maintenant que je t'appelle. J'aurais voulu le faire bien avant mais, je ne voulais pas, pour me préserver de ne pas pouvoir partir aussi loin que mon coeur le désir. Et si ce geste signifie pour toi que je ne t'aime pas, alors c'est que décidément nous ne nous comprenons pas. L'amour de nos jours doit se jouer du temps et de la distance. C'est ainsi qu'ont évolué les relations humaines ces derniers temps, elles doivent s'accommoder de la distance sans quoi nous nous condamnons à nous vider de tout sentiment et de tous liens. Je t'aime, je pense à toi, j'essaierais à nouveau peut-être plus tard de te joindre"

À l'écoute de ce message, le personnage principal du récit ne sait plus quoi pensé. Il est un peu désarçonné. Que dire ? Que faire ? Tout cela a-t-il un sens qui lui échapperait soudain ? Rien de tout cela décide-t-il au final. Un sourire se dessine sur son visage qui dit la joie d'avoir pu entendre la voix de sa bien aimée. Un instant il ne sait quoi faire mais désormais il sait qu'elle l'aime et qu'elle l'a aimé. Cela lui suffit amplement, de toute façon, il n'a pas d'autre choix que de se contenter ou non de ce qu'elle lui propose, alors il l'accepte. Mais cet état ne dure pas longtemps. Le voilà qui se remet à cogiter : J'aime, mais je suis loin, loin de toi, loin de tout, loin de ce qui somme toute m'importe. Pendant que je me prenais pour un super héros voltigeant entre les tours de la "capitale du monde", la personne la plus anodine mais la plus importante à mes yeux se faisait la malle à mille et un lieu de moi. Sauver le monde qu'il disait ! Oui mais moi qui me sauvera ?"

Il est arrivé chez lui et le message clignotait sur le répondeur de son téléphone, un pressentiment étrange l'a alors envahit. Puis une question a fusée dans son esprit : "Et si c'était elle ?" Et oui c'était bel et bien elle. Seulement, alors qu'il s'attendait à ce qu'elle lui annonce qu'elle était dans un lieu où il pourrait la joindre plus tard, il n'en fut rien. Bien au contraire. Elle s'éloignait.

Lui qui avait toujours rêvé d'une histoire d'amour à distance, le voilà servi. Sa théorie concernant les relations à distance était somme toute simple : il pensait que cette dernière consoliderait les liens qui unissent deux êtres. Seulement le voilà qui se sens dépassé par la situation. C'est une chose que d'imaginer une situation, s'en une autre que de la vivre. À distance il ne faut pas trop faire dans les sentiments sans quoi on est condamné à ne ressentir que douleur et attente. C'est pourquoi durant une longue période de son existence le personnage principal avait enfoui ses sentiments au plus profond de son inconscient, inconscient qu'il était. Heureusement pour lui cette part humaine qu'il cherchait de la sorte à mettre en veille s'est réveillé par un bel été de l'année 1996. Il s'en souvient encore comme si c'était hier. Il se voit encore assis dans la solitude la plus complète de son bureau. Et voilà que la sonnette de son domicile se met à résonner alors qu'il ne s'attend à aucune visite. Il descend les marches et lorsqu'il ouvre la porte, par un de ses effets étranges que, bien souvent, seul le cinéma est capable de nous offrir, il voit se détacher à contre jour une figure féminine sous le charme de laquelle il tombe instantanément.

Les sentiments sont une alchimie qui sollicite la participation de tous nos sens. Voilà pourquoi nous employons l'expression tomber quand on est sous l'emprise de l'amour. La perte de nos repères est le fondement même de ce sentiment. Le personnage principal du récit à perdu ses repères le jour où il a rencontré cette femme qui aujourd'hui se trouve à une extrémité géographique autre que la sienne un peu comme à une autre extrémité du temps. Depuis ce jour là il apprend à vivre avec ses sentiments. Super pouvoir que les sentiments. C'est devenu sa force mais c'est également son point faible.

L'homme araignée tisse sa toile sur l'écran. Il renonce à l'amour. Notre personnage principal trouve ça beau, mais triste. L'homme araignée choisit sa destinée. Plutôt que l'amour d'un être cher, fait de sang, de chair et d'os, il choisit de sauver le monde plutôt que de ne s'attacher qu'à l'amour d'une personne. À cet instant précis du récit nous nageons en plein dans ce que ce que je nomme le complexe du héros et que décrit si bien le poète Rainer Maria Rilke dans son recueil intitulé les Élégies de Duino. "Le héros ne connaît que les haltes du repos de l'amour".

L'homme araignée choisit la masse plutôt que l'individu, et notre personnage principal de s'interroger en sortant de la séance : mais que choisit-il au juste ?

Voilà une bonne question.

La masse étant par définition indéfinie, j'en conclu en toute logique que l'homme araignée ne sait pas ce qu'il choisit. Ou alors qu'il ne veut pas choisir. Je serais même tenté de dire qu'il ne choisit rien, qu'il ne choisit pas, et qu'il se trompe en croyant choisir en agissant de la sorte. Il ne s'engage pas. Il refuse l'engagement. Or peut-il prétendre vouloir sauver le monde en refusant de s'engager? Pour qu'elle raison sauverait-il le monde alors qu'il n'est pas capable de s'investir pour une seule personne? Alors qu'il n'est pas près à défendre la singularité, qui elle seule permet d'extraire l'individu de la masse, le responsabiliser et donc par ricochet se responsabiliser lui-même. Comment pourrait-il s'investir pour le monde, et entier de surcroît ? Alors que lui, qui est un monde à lui seul, n'est pas entier ? D'ailleurs parlons de l'entièreté du monde selon les fictions américaines. Bien souvent elle se limite au seul territoire de l'Amérique du Nord. À croire que le monde se limite à cette inique intimité, cette unique partie du monde, le leur. Pas de vision réellement panoramique ou si peu.

Sur le message laissé sur le répondeur du personnage principal, sa petite amie n'a pas laissé de numéro ou il pourrait la joindre. Alors bien qu'il était heureux d'entendre sa voix pleine de poésie et de musicalité, voilà que l'angoisse le saisi soudain. Une flopée de questions se déverse dans son cerveau. Il se sent perdu. Aurais-je un jour de ses nouvelles? se demande-t-il. Comment vais-je faire ? Qu'allons nous devenir ?

Son amie appelait d'une cabine téléphonique et il est impossible au personnage principal de trouver un quelconque moyen à sa portée pour la joindre. Il ne lui reste donc plus qu'à espérer que cette dernière tiendra la promesse qu'elle lui a faite de le rappeler dès qu'elle le pourrait. Alors il saura à quoi s'en tenir. D'ici là, disons qu'il nage dans le flou artistique le plus complet. Mais le message ne se termine pas exactement comme ça. En réalité son amie n'avait plus d'unités et sentant que bientôt elle ne pourrait plus lui parler, elle s'est mise à compter bizarrement, soit dit en passant : "Zéro, zéro, zéro" puis la ligne a coupé. Les combinés raccrochées. Fin de toutes combines. Adieu ma concubine.

Héros et zéro vont bien ensemble n'est-il pas ?

22/08/2011

L'amour tarifé




Le véritable amour, dit-on, doit faire fit des contingences imposées. Je ne devrais donc pas mettre de frein à mes élans en direction de ma dulcinée. Seulement, voilà que je n'ai de cesse de refréner mes élans de façon spontanée. Le geste est calculé, mesuré puis normé avant même que d'être accompli. Une fois le mouvement engagé, dès la première seconde, je souligne le cadre dans lequel s'élabore l'action. J'annonce par exemple que je ne resterais pas longtemps au téléphone, aussitôt ma moitié me rétorque : "ça commence bien". En réalité, et nous le savons, cette formule n'est que pure ironie ou ironie pure, estampillé en quelque sorte : Ironie Maiden ou Made in Ironie City, excusez l'anglicisme. Mais revenons en à nos moutons. Cette formule sous entend : "c'est mal parti". En conséquence de quoi on peut conclure que ça va mal finir. Et nous voilà donc mal parti pour mal finir. Je sais que je n'aurais pas dû annoncer d'emblée que cela me coûte de m'engager dans cette conversation. Pourtant, je le fais. Partant, sachant que c'est un acte sciemment posé, je n'ai pas d'excuses, pas de circonstances atténuantes. Je peux donc être jugé selon mes actes et peux être considéré comme responsable. Le verdict devrait tomber d'ici peu. Il ne comportera aucune une surprise. Coupable. En bref, loin de ma dulcinée, je sais, je sens, je vois, que je ne suis pas l'homme que je prétend être, pour autant je n'en demeure pas moins cette personne tant prétendument prétendu. Cette formule aussi alambiquée qu'elle soit n'est pas prudente. En quoi? Chercherais-je à masquer mes prétentions? Je m'explique non pas sur la formule mais sur le pourquoi je n'en suis pas moins l'homme que je prétend être : Ce n'est pas parce qu'avec ma dulcinée je prétends quelque chose que je n'incarne pas, que pour autant dans le fond je n'ai d'autre objectif que d'être ou de vouloir devenir celui que je joue à être avec elle. Suis-je clair ? Non ? Bon je vous la fait courte, à défaut de ne pouvoir vous faire la cour. Je cherche réellement à être celui que je prétend être mais ne je ne peux l'être - rien a voir avec un quelconque alphabet - parce que je n'en n'est pas les moyens... Et c'est la que réside tout le dilemme entre l'être et l'avoir. Pour être et espérer devenir, encore faut-il avoir les moyens de ses prétentions. Qui ne comprend pas cela me demandera ou se demande pour quelle raison je joue à être celui que je ne suis pas. Ce d'autant que l'on sait que je souhaite être et non jouer à être. Je ne veux pas jouer, je veux être. Je réponds donc : On ne choisit pas ses rôles par hasard surtout lorsque l'on se targue d'être un être de raison, pleinement conscient de ses actes. C'est pourquoi je fais sciemment les choses, souvenez-vous. La réponse que je propose à cette interrogation est la suivante. C'est ma dulcinée qui exige de moi que je joue ce rôle. J'entends par là que dans nôtre relation, je ne joue pas le rôle qu'elle s'attend à me voir jouer. mais dans le fond je ne demande pas mieux que de jouer ce rôle. En d'autre terme, je me refuse à être, ou pour être plus clair à jouer à être, ce que je souhaite fondamentalement être parce que c'est ma dulcinée qui me le demande. Simple volonté d'avoir pour moi mon libre arbitre, je pense donc... Vous me suivez? Quoiqu'il en soit, ce qu'il faut retenir de tout ce verbiage c'est qu'un rapport basé sur des attitudes biaisées, entraîne nécessairement ce type de comportement, ce type de jeu. Toutes ces révélations soudain m'apparaissent accablantes. Je vois qu'au-delà de la posture intellectuelle ou plutôt pseudo-intellectuelle, que j'adopte, se cache la veulerie et l'absence de courage que renferme mes allégations. Je n'ose reconnaître dans le fond que les formes que j'emprunte et les normes que j'impose dans cette relation, les freins que je mets, les doutes qui soudain m'envahissent, les actes biaisés par rapport aux propos tenus, la quête de justifications alambiquées pour tenter d'expliquer l'inexplicable, de justifier, l'injustifiable montre le degré de perversité, de sophistication que j'ai atteint dans la veulerie, l'inextricable dont je tente malgré tout de m'extraire. À ce niveau là de mon exposé, je devrais tomber le masque et pleurer de voir que finalement je ne suis pas plus meilleurs qu'un autre homme. Mais, seul ma capacité à prendre du recul par rapport à ma prétention sans doute première qui est celle d'être meilleur que les autres me distingue justement de ces autres dont je ne suis pas plus distinct. Mais, je suis peut-être au mieux plus conscient de mon humaine condition. Et je sais que rare sont ceux qui le sont. Nombreux sont ceux qui se prétendront meilleurs ou moins bon ou je ne sais quoi encore. Pour ma part je n'ai aucune de ces prétentions. I am just a man.

Questions instinctives


Le principe de changement ou d'évolution selon l'échelle à laquelle on se réfère est à l'image du paradoxe que constitue l'humanité. J'entends par là que bien que faisant parti des phénomènes indispensables à la vie humaine, il n'en demeure pas moins celui qui engendre le plus de tourments dans le coeur des hommes. À une échelle individuelle, l'homme sentant se produire en lui des changements se cramponne à un état passé craignant de tout perdre parce que bien évidemment au moment ou s'annonce le bouleversement interne, il ne sait ce qu'il va y gagner mais à l'inverse il est conscient de ce qu'il va perdre. Les questions qu'on est en droit de se poser sont donc les suivantes : Si l'homme n'éprouvait pas cette peur, garderait-il ce qui est indispensable à sa survie une fois le bouleversement arrivé à son terme ? N'est-ce pas justement cet état d'alerte qui lui a permis de le conserver ? Fondamentalement, l'homme peut-il faire-fi de cette crispation ? Ne relève-t-elle pas en définitive du champ de ce que l'on nomme réflexe ? N'est-ce pas bon signe ? Notre organisme a-t-il nécessairement besoin que nous nous crispions pour enclencher le principe de sauvegarde ? N'est-il pas capable de l'enclencher de son propre chef ? Cela n'est-il pas fonction de la qualité de l'instinct de survie de l'individu ? Et ceux qui se cramponnent à des principes qui leurs sont néfastes souffrent-il nécessairement d'un dysfonctionnement de leur instinct ? Ce dernier a-t-il une durée de bon fonctionnement limitée dans le temps ? Voilà des questions qu'il est bon de se poser et pour lesquelles je ne puis ici apporter de réponses. J'ai bien évidemment mon avis sur la question, mais il ne m'importe pas de le livrer sans l'avoir plus longuement et murement réfléchi.

07/08/2011

Perspective décevante


Il y a un certain temps déjà que cette idée me trotte dans la tête. Écrire un texte sur un point de vue, une réflexion qui sans doute a traversé l'esprit de nombre d'entre nous, mais que, pardonné mon inculture ou mon ignorance je n'ai lu nulle part encore. Mais je sais que d'idées nouvelles ce monde ne produit plus, et que je ne fais pas exception à la règle. Aussi, je vous serais reconnaissant d'éclairer mes lanternes en me signalant tout texte déjà paru sur le thème que je m'apprête à aborder ici à savoir celui du constat de la vanité de certaines innovations techniques. Je vous rassure il n'est pas question de gadgets dont l'inutilité a depuis longtemps été prouvée. Je limiterais ma réflexion à un seul domaine : celui des images et plus particulièrement celui du cinéma.

Retour sur futur

Il y a peu de ça, alors que je regardais le premier épisode de la série cinématographique de James Cameron Terminator, je constatais effaré que les effets spéciaux avait mal vieilli. J'en fus étonné, d'autant que je me souviens des impressions fortes que j'avais gardé du premier visionnage de ce film. Comment avais-je pu me laisser duper à ce point par des effets aussi grotesques ? Telle fut ma première réaction. Après quoi, je me suis dit que j'avais vieilli et que mon regard sur le monde était peut-être désormais dépouillé de cette capacité d'émerveillement que l'on prête souvent aux enfants. Je vieillissais, il était donc normal que mes souvenirs suivent le mouvement. J'allais tourner la page quand je compris que mon étonnement, qui avait pris la forme d'une interrogation, n'était pas moins dénué de cette faculté enfantine, au sens noble du terme s'entend, qu'est l'émerveillement. Il se trouvait juste qu'il ne s'exprimait plus en terme vide, de simple enchantement. C'était devenu une interrogation. Plus jeune je ne me serais pas posé la question de savoir comment le cinéaste avait réussi à me faire rentrer dans son imaginaire. Je me serais juste contenté, tout comme je l'ai d'ailleurs fait, de profiter du spectacle. Me laisser porter par la vague des émotions, des sensations. Je me serais laissé griser, enivrer par l'aventure, le spectacle qu'il m'était donné de voir. Quoi qu'à bien y réfléchir, les questions naissent d'une forme d'émerveillement. Les questions naissent d'une impression , d'une intuition, celle du sens. Les réponses ne venant que plus tard pour former un corpus qui donne sens. Et je n'ai plus le même âge. Aussi, en comparant les effets spéciaux de l'époque du premier Terminator avec ceux dont use le cinéma actuel, je constate le chemin parcouru. Puis je me dis que dans quelques temps, ce que je considère aujourd'hui comme hyper-réaliste sera regardé avec le même regard circonspect avec lequel j'ai revu le premier Terminator. Et là soudain me vint la question suivante : pourquoi s'évertue-t-on à vouloir perfectionner des effets qui demain n'auront plus le même impact. L'oeil humain s'étant habitué et recherchant encore et toujours quelque chose de plus abouti tout en sachant que viendra le temps ou cette nouveauté ne sera plus au goût du jour ? Et là ce fut le vertige. J'en concluais que je n'aurais pas pu participer du milieu de la mode et je plaignais les créateurs et autres couturiers. Mais je sais que ma réflexion ne peut se satisfaire de cette réponse. D'ailleurs, on pourra m'objecter que le simple fait que j'ai pu me laisser prendre par les effets spéciaux anciens, suffit à justifier leur existence. Ils nous préparent au vertige que l'on peut ressentir face à la véritable nature de ses artifices, nous évite le sacrifice. Le dégoût que l'on peut ressentir face à la vie, s'ils n'ont pas su susciter en nous un quelconque intérêt pour la vérité ou pour parler autrement : la réalité.

Par ailleurs, pourquoi devrait-on priver toute une génération de ce principe qu'est celui de l'émerveillement quand on sait le rôle qu'il joue dans nos existences, sous prétexte que dans dix ans l'effet sera éventé ? Fini la magie, fini le cirque, fini tout spectacle fonctionnant sur ce mode d'expression? Et que vive la tyrannie du réel ? Triste réalité donc ! Ce n'est pas ainsi que j'imagine l'existence. Agir de la sorte serait sans doute commettre une belle boulette. D'autant que, que nous le voulions ou non, ces effets jouent un rôle prépondérant dans notre éducation : ils nous apprennent à nous méfier des apparences, à voir au-delà, à remettre en question ce qu'on nous présente comme la réalité ou la vérité. D'autre part, si l'on se penche plus encore sur ce sujet on peut se rendre compte de l'envergure des questions qu'il soulève. Telle que, la remise en cause des limites que constitue le réel, la place de l'illusion dans nos démarches intellectuelles, le plaisir du jeu et de la recherche etc...

Je souhaite donc par cette note susciter votre intérêt et ouvrir un débat sur le sujet. D'avance un grand merci pour votre participation.

Dagara Dakin

05/08/2011

À bras le corps


C'est l'inventeur de la Ford, me semble-t-il, qui disait : "Nombreuses sont les personnes qui passent le plus clair de leur temps à tourner en rond autour de leurs problèmes plutôt qu'à s'y confronter pour tenter d'y apporter une solution !"


Le réel tel qu'en lui-même


Se coltiner le réel pour tout grand rêveur qui se respecte n'est bien évidemment pas chose évidente. J'ai pourtant très tôt su que se murer dans son for intérieur n'était pas le chemin qui menait au bonheur, à la réalisation de soi. Il faut dire que j'ai très tôt été arraché au monde du rêve, le cocon familial. Fini donc, le chant de la pluie sur la tôle ondulée de la toiture de la maison parentale. Là une armée de frontières invisibles mais bel et bien réels se sont abattus sur la part pragmatique de ma personne. L'exil fut vécu comme une cause purement mentale. Et c'est tout naturellement par le mental que j'ai alors entrepris de surmonter cette douleur. Pas moyen d'avoir prise sur le réel. Mon corps semblait vivre indépendamment de mon esprit, quant à ce dernier, il traitait mon corps en parfait étranger. Deux entités séparées, voilà ce que j'étais devenu. Corps sans esprit, esprit sans corps, bref, aucun esprit de corps ne m'animait en somme. Éparpillé, voilà ce que j'étais. Ma distance d'avec le réel était réelle, elle m'était, entre autres choses, de fait imposée par les règlementations diverses et variées qui régissent toutes sociétés démocratiques qui se respectent. Je n'y voyais aucun inconvénient, étant donné que j'avais un sens très aigu du respect des règles et des codes parce que sensé être les garantes de la bonne marche de la société et donc du bien commun. Ce qui me vexa le plus et causa en moi le plus de frustration est la foi quelque peu naïve ou enfantine, du à mon jeune âge que j'avais en l'humanité. Pour moi il suffisait de respecter les règles, de suivre le droit chemin, de filer droit en somme et tout se passerait bien. Le voyage qui devait me conduire du monde de l'enfance vers l'âge adulte serait, pensais-je, agissant de la sorte, sans anicroche. Mais, et c'est là que le bas blesse : plus je me tenais tranquille, plus je tentais de me soustraire à tout esprit de révolte et de rébellion, plus je tenais ou tentais de me faire oublier, plus l'on me cherchait des noises. Toute mon énergie qui devait originellement être tournée vers l'extérieur et m'aider à me construire en tant que citoyen, était mis au service du respect de la règlementation. Je veux dire que je dépensais une énergie folle pour rester dans les clous et ne pas déborder d'un seul poil, tant je pouvais sentir en moi bouillir la marmite de l'insoumission, de la rébellion. Certes, j'agissais en bon citoyen puisque j'oeuvrais à ma propre construction, en tout cas à la construction, la mise en place d'une certaine conception de la citoyenneté : l'honnêteté. Or, à l'inverse de mes espérances, mon comportement ne faisait que m'attirer des ennuis. Par conséquent, aucune contestation ne pipait de ma bouche. Le silence était devenu ma seule réponse à toute provocation et quand il m'arrivait de m'exprimer cela se traduisait par des borborygmes. Je devais apprendre à parler avant que de ne vouloir prendre la parole. Le langage étant un élément primordial dans la construction de tout individu qui veut comme moi que sa voix compte dans le morne paysage qui nous entour. Éviter les entourloupes. Le respect des règles, m'apparaissaient inconsciemment comme seule garante de l'unité de mes deux entités séparés, à savoir le corps et l'esprit, seul ce respect me fournissait un semblant d'esprit de corps. En choisissant, le vaste champ du langage comme lieu d'apprentissage du respect des règles, j'espérais être fin prêt à tout éventualité, au moment ou ce monde qui marche à l'envers se dérèglera. En réalité il était déjà déréglé, il déraillait à plein tube, mais je ne le savais pas, puisque j'y débarquait fraichement du haut de mes dix ans, j'étais par conséquent prompt à la médisance, aussi je me suis tu et j'ai repris les gammes de la locution. Ce n'est que plus tard, bien plus tard, quand je me suis enfin retrouvé, face à l'individu à la construction duquel j'avais oeuvré que je compris que contrairement à ce que je croyais, ma construction individuelle ne se faisait pas indépendamment du groupe, mais bien au contraire, elle s'inscrivait dans cette volonté de participé du tout, de la société et que par conséquent il n'y avait pas de contradiction, ni d'incompatibilité entre mes propres aspirations et l'idée que je me faisais de ce que devait être un citoyen. Seulement, ma construction citoyenne était contrarié par des logiques administratives perverses puisque dans le même temps qu'elle me désignait la porte de sortie m'ordonnant de la sorte de partir, me demandait de ne pas faire un seul geste. Pour faire plus clair, disons que je vivais la tragédie de ce chien mythique que ses maîtres avaient affublé du nom de "Fout-le-Camp" et qu'ils ont rendu cinglé, en lui demandant de s'approcher pour manger son repas. Vous voyez la scène, j'imagine ? Non ? Alors la voici en quelques lignes de dialogues.

Les maîtres : "Ah, quel gentil chien celui-là... mais il serait bon maintenant qu'il arrête de courir en tout sens et vienne prendre son repas !".

Le chien joue au loin et s'éloigne de plus en plus en courant. C'est un chien qui aime les grands espaces. Ce qui pour ses maîtres est pure folie. Voyons, le lointain, l'horizon... qui aurait idée de vouloir s'y aventurer bien que de toute évidence sa nature l'y convie? Il est bien connu qu'il ne faut point obéir à sa nature, à son tempérament mais le mépriser, seul moyen d'obtenir un bon dressage en règle.

Le chien : " Ouaf, ouaf..."
Les maîtres : "Fout-le-Camp, vient ici !... Fout-le-Camp, vient ici !!! que je te dis ! Nom d'un chien !"

Le chien, perdu, ne sait plus s'il doit fiche le camp ou obéir à ses maîtres, et donc tel l'âne Buridan, ne sachant comment réagir - boire ou manger - sombre dans la folie, écartelé qu'il est entre le flux et le reflux. Le fuir par le refus. Rester par et pour l'obéissance à un ordre auquel il ne peut en tout bon sens répondre parce que contradictoire ou alors prendre la poudre d'escampette ?

Si vous cherchez une réponse à cette question, dites vous qu'elle se trouve dans la question ;).

Conclusion de cette fable quelque peu moraliste : le citoyen, c'est celui qui prend son parti, à savoir celui de sa santé mentale !

À bon entendeur... Moi... je fiche le camp ! ;)

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