15/08/2012

L'invention de soi ne va pas toujours de soi

« Malaxe, malaxe, les omoplates » A. Bashung

Connaissez vous ces moments assez étranges, voire particuliers, au cours desquels vous êtes traversés par des émotions sans cesse changeant. Un peu comme si votre humeur était en train de connaître des avaries.

À cet instant précis, vous voudriez exprimer à votre partenaire ou à vos proches ce trouble dans lequel vous êtes plongés mais vous êtes obligés de vous taire. D’une part, parce que vous ne trouvez pas les mots justes pour le leur exprimer. D’autre part, parce que vous vous retrouvez face à leurs injonctions tacites de faire silence, qui - bien que légitimes - vous laisse à penser qu’ils ne saisissent rien à vos états d’âme. Sentiment d'être incompris qui vous laisse croire que vous êtes étrangers à ceux qui vous entoure. Mais peut-être qu’en réalité, si ça se trouve, ils sont, eux-mêmes, en train de lutter contre leurs démons intérieurs. Vous faites dès lors l'expérience de cette formule qui veut que certains combats ne peuvent se mener que dans le silence rare qu’offre l’espace de recueillement qu’est l’intimité, la solitude. Et puis, que vos proches vous comprennent ou non ça ne change rien à l’affaire. Ce n'est pas pour autant que ce combat là vous n'aurez pas à le livrer. Leurs exprimer cela n’avancerait donc à rien. Il faut affronter sa vérité.

C’est une histoire entre vous et vous seul. « Si je te parle de ma soif cela étancherait-il la tienne ? » Interroge Miss-tic. La réponse ne fait aucun doute, ce n'est pas un mystère, ni au sud ni à l'ouest. Encore moins au nord ou à l'est.

La vie intérieure n’est pas chose qui se partage à tout bout de champ. Il y a en elle quelque chose qui relève de la cuisine personnelle. En parler à vos amis proches ou lointains ce serait comme chercher à faire étalage de ce qui se joue dans les coulisses de votre personnalité. Ça n’a pas de sens. On se fabrique aussi dans la solitude. Un peu comme le sculpteur qui s’apprête à réaliser une œuvre. Il ne peut se permettre d’être tout le temps dans le dialogue.

Il y a toujours un moment où il doit se taire pour faire et ensuite donner à voir. Cela n’empêche qu’il y a de tout temps eu des échanges épistolaires entre les artistes et leurs amis ou commanditaires. Que l’on songe seulement à Van Gogh écrivant à son frère Théo pour lui faire part des difficultés qu’il rencontre à exprimer un sentiment, une émotion dans l’une de ses créations.

Cela étant, c’est sans doute ce sentiment d’incompréhension qui pousse les uns et les autres à créer. L'artiste fabrique du lien. Si le langage commun ne suffit pas pour se faire comprendre, il faut trouver d’autres biais. Inventer un nouveau langage, de nouvelle façon de faire. D'où l'importance des artistes dans un siècle émotionnellement chargé. L'art est le lieu de la fabrique du langage.

« Et parler pourquoi faire, quand il y a les mains pour se comprendre », chante Shurik’n, l’un des leaders du groupe I AM. Il dit bien là l’importance des mots, sans quoi c’est aux poings que les choses se règlent. Je devrais plutôt dire « se dérèglent ». Il nous faut inventer de nouveau mode de communication quand ceux dont nous usions jusque l'à ne suffisent plus à dire notre époque. La glose est ennuyeuse, et nulle ne cherche à ennuyer son auditoire. Par conséquent, il faut trouver les mots justes. La précision, telle la tenue correcte, est exigée. Il faut bannir de tout propos la circonlocution ou les circonvolutions inutiles. Le beau, c’est la quête de la justesse, et celle de la justice en société.

Ces combats que nous menons dans le secret de nos alcôves sont un élément de la construction de soi. Car c’est là, dans cette forge que se construit à deux mains l’identité de l’individu, homme ou femme de demain. "Malaxe, malaxe..." Chante Bashung.

Ce que révèle cette nécessité de se taire et de faire silence dit bien aussi l'importance de l'échange et de la parole donnée et prise. Car c'est dans l'écoute et l'échange que l'on se construit. C'est un aller-retour, un dehors dedans en somme. Les frontières sont poreuses et perméables. Ce ne sont pas des murs contre lesquelles viennent s'écraser des pensées en construction. 

Savoir quand l'ouvrir et quand la fermer, l'un n'allant pas sans l'autre mais pas toujours de soi. 

À titre personnel, la première chose que j'ai apprise avant de m'étaler là devant vous aura été de mesurer la valeur du silence. Et c'est une expression persane qui me l'a enseigné. Il m'a bien évidemment fallu en percer le sens afin de me l'approprier. Ce que l'on comprend nous appartient, c'est ce qu'il y a de bien avec les mots, c'est qu'ils sont à ceux qui en trouve le sens.

Je me souviens être resté bouche bée quand je me suis retrouver face à cette formule que j'ai du relire au moins dix fois. Tellement elle me semblait belle. La beauté amène tout naturellement à une volonté de comprendre, en tout c'est ainsi que je l'entends. Car si cela raisonne en moi, la question qui suit est : qu'est-ce que cela dit de moi, qu'est que je peux en apprendre en ce qui me concerne ?

Cette phrase était un petit miracle dans la tempête intérieure qui m'habitait alors. Elle dit : " La parole sème et le silence récolte ". 

C'est marrant qu'au moment où j'avais le plus envie de parler, tellement mes idées allaient en tout sens, que ce soit une formule sur le silence qui m'ait arrêté nette dans mon élan. J'allais me répandre et cette citation me demandait d'apprendre à faire la part des choses. Si je n'ai rien à dire, autant me taire et récolter ce que le monde avait à m'offrir. Et une pensée incohérente ne sème rien que l'ennui, des propos vagues et creux qui disent le creux de la vague.

Aujourd'hui est venu pour moi le temps de la véritable moisson... Celle ou je peux semer et récolter en retour.

Alors ... "Dehors, tout le monde dehors..." Ah éternel Bashung !

13/08/2012

Ultime mirage


Le temps est passé
Le vent sur les branches a soufflé
J'ai bien sur changé
Avec les saisons dès que l’occasion m’en a été donnée

La monnaie échangée

Se poser sur la branche, trouver sa place
Ne plus laisser les ennuis, à la moindre occasion, tout emporter

Faire face ou refaire surface

Et si sur une échelle graduée de dix à zéro il me fallait situer le moment où le passé s'est enfin effacé

L’ardoise réglée
Comme du papier à musique

Laisser passer au galop le temps qui file au trot

Je dirais que le niveau se rapproche plus du degré zéro que de dix
De force comme de grès, il me faut l’accepter

Je confirme
Avec le temps va, tout s’en va
C’est un fait que Léo avait bien su ferrer

J'ai appris la leçon, encaissé l'addition

Se détacher
Comprendre à quoi il sert que l’on s’attache

Comment ça marche les liens qui font les sentiments ?

Peut-on s'attacher tout en ayant l’air détaché ?
Peut-on s'engager tout en paraissant dégagé ?

Voilà toute la complexité des relations humaines affichées
La paix ? Connaissent pas !
Fliqué, contrôlé, tabassé, fiché
Puis vient la photo d’identité

J'ai bien évidemment, comme tout un chacun à un moment donné, cherché à fuir mon devenir, ma réalité
D'aucuns parlent de destinée

Mais aux grands maux, je me suis toujours efforcé
De trouver autre chose que des gros mots en guise de remèdes
 
Force est de constater
Il y a peu, tu me le faisais encore remarquer
J'esquisse souvent une autre expression, quand celles communément admises me paraissent trop lourdes à porter

Désolé
J’ai toujours été un peu fuyant face à ces termes bien trop chargés

Peu importe... tant que tu me supportes

Le plus important dans tout ça c'est de savoir si dans la bourrasque ou les tumultes
De cette aventure humaine mon âme d'enfant intacte comme au premier jour
J'ai oui ou non su garder

À  vrai dire ou dire vrai, devrais-je plutôt dire, j'ai sauvé ce que j'ai pu

Je ne nierais rien, j’avouerais tous
Je n'irai donc pas par quatre autres chemins que ceux par lesquels nous sommes jusqu’ici passés

Je n’irais pas jusqu'à dire "comme au premier jour" car l'innocence est tombée de mon escarcelle

La vie est cruelle
C’est un fait vérifier
Et l'être humain un vrai panier percé

Il ne sert à rien de se bercer de douces illusions
Si tu vois ce à quoi je fais allusion
 
J'entends par-ci par-là, de-ci de-là que tu suis ta voie
Apprendre le contraire m’aurait laissé sans voix
Je pense n'avoir jamais rien souhaité d'autre que ce que j'entends là

Si do ré mi fa sol
Moi aussi je suis mon chemin

Cela ne fait aucun doute
Ni de moi un homme meilleur
Je ne pouvais juste pas concevoir que l'on m'emprisonne et que l'on veuille décider de ma route
Alors pourquoi agir de la sorte avec les autres, et plus encore avec ceux que l'on porte en haute estime?

En haut de l'arbre se trouve la cime

Voilà pour moi ce qu'aimer veut dire 
Vouloir le bonheur d'autrui
Ne pas chercher à lui nuire
Le contraire serait pure contradiction, friction
Et je n'aime rien moins que les malédictions, les blâmes et autres aberrations

Bref, je tenais à te dire mon admiration puis ajouter ce que je peine souvent à avouer :
Il m'arrive encore parfois de penser à toi

Ne me demande surtout pas pourquoi

Mille et une excuse pour les derniers cafouillages
On s'emmêle vite les pinceaux quand les sentiments emportent aussi la raison
Je te rassure c’est un défaut qui s’estompe avec l’âge

Adieu donc belle image
Toi qui fus pour moi,
Il me faut bien l’admettre

Mon ultime mirage

11/08/2012

À la portée des étoiles


Cannes, Samedi 15 mai 2002.
 
Plus qu’un jour et le Festival clôturera ses portes. Jusqu’ici tout va bien, j’ai plutôt pas trop mal assuré mais il est temps que tout ça s’arrête. J’ai bien tenu mon rôle du type sympa qui dit bonjour à tout le monde et passe son temps à se montrer courtois. J’ai rendu à toutes les stars le respect que je leur devais de m’avoir fait rêver durant toute mon enfance et au delà.
Cannes... Cannes et ses clichés : la plage, les palmiers et les stars à la pelle ou si j’osais... Comme s’il en pleuvait. Car pour ce qui est de la pluie aujourd’hui nous avons été servi. C'est drôle, le commun des mortels s’imagine toujours que dans un lieu comme celui-ci les gens sont à l’abri des intempéries. Mais on n’est pas au cinéma et Cannes n’est pas une île perdue au milieu du Pacifique et entourée de lagons bleus.

“ Tu verras mon vieux, me disaient mes amis, Cannes c’est super : le soleil, la plage, les cocotiers et des filles toutes plus sublimes les unes que les autres ”. Bref, le parfait dépliant pour touristes en manquent de soleil. Hé bien, c’est raté. Pour le soleil il faudra repasser.

D’accord, jusque là les filles ont défilées. Mais les gars dans leur joli costume de portier ne sont pas vraiment leur centre d’intérêt. Elles veulent toutes palper de la star. Rien qu’aujourd’hui, j’en ai côtoyé de loin une bonne dizaine qui attendaient devant l’hôtel. Et, bien qu’au fait que les vedettes allaient bientôt se faire la malle, croyez vous qu’elle se seraient intéressées à moi ? Croyez vous qu’elles se seraient rabattus sur les restes?  Que nenni ! J’avais beau leur offrir mon plus joli sourire, rien à faire... Et vas-y que je te demande si je n’aurais pas vu Léonardo sortir de là ou si Vincent Cassel ne traînerait pas dans les parages. S’en était exaspérant. J’ai d’ailleurs failli en perdre mon sourire et m’énerver.
On m’avait pourtant mis en garde : “ Le plus difficile à supporter quand on est portier à Cannes, c’est d’avoir cette sale impression que les gens ne vous remarque pas. Vous êtes aussi transparent sinon plus encore que ces portes vitrées que vous passez le plus clair de votre temps à ouvrir et fermer, alors restez zen. 

Il savait de quoi il parlait notre coach Bernard, “ dix ans de métier ”, expression qu’il ajoutait toujours, m’a-t-on dit, à cette longue litanie qu’il débitait avec une sorte d’amertume dans la voix. C’était chaque année la même rengaine qu’il servait à tous les nouveaux arrivant au poste de portier “ des stars ”. Je ne sais pas pourquoi mais quelque chose me dit qu’il n’avait pas vraiment l’intention de finir ses jours à ce poste. Moi, en tous les cas, je ne finirais certainement pas mes jours là. Je veux ces filles que les stars accrochent à leurs bras comme d’autres des bijoux. Je veux ces flashes qui aveuglent. Non pas que je sois spécialement pour que l’on idolâtre ma personne mais puisque nous sommes dans une société ou le talent de l’acteur ne s’exprime souvent dans la presse que de cette manière alors, je veux montrer que moi aussi j’ai du talent. Je suis acteur, pas portier. Si je tiens la porte ces derniers temps c’est que c’est le dernier moyen que je me suis accordé pour percer dans le milieu.

Mon plan était simple, profiter de ce job qui s’était offert à moi comme par enchantement pour me faire connaître et décrocher un rôle dans un film ou une série. Enfin...pour commencer quelque part. Voilà près de quinze ans que je vais de casting en casting sans vraiment réussir à convaincre. Et d’entendre me dire quasiment à chaque fois que j’ai du talent certes, mais que le rôle n’est pas fait pour moi, c’est comme si je voulais endosser un habit qui n’était pas à ma taille. Comme si finalement je m’étais trompé de rêve.

J’étais sur le point de tout laisser tomber, tout plaquer et faire le premier boulot qui se présenterait à moi quand on m’a proposé ce poste. J’en étais au point de non retour, mon rêve devait s’achever, j’allais me réveiller et je savais déjà que le réveille serait rude. Heureusement, mon oncle à penser à moi lorsqu’il a fallu remplacer au pied levé le gars qui tenait le rôle qui fut le mien pendant ces derniers quinze jours.

Portier à Cannes, ça en jette sur un CV, du moins j’espère...
Quoi que vu comment ça se passe, j’en doute. Demain je tiendrais une dernière fois la porte à ces messieurs dames qui s’affichent sur les écrans et j’entrerais dans la ronde avec eux. Et, dans quelques années c’est à moi qu’on tiendra la porte et à qui on dira bonjour avec un grand sourire.
Pour tout vous dire, aujourd’hui j’ai profité d’une pause pour faire mon numéro et décrocher enfin un rôle qui annoncera le début d’une carrière que je sais prometteuse. Je suis ambitieux et j’irai loin.
Oui, lors de la pause je me suis permis d’aller frapper à la porte d’un grand réalisateur. Bien sur, quand il m’a vu son réflexe premier a été de refermer aussitôt. Par chance, j’avais prévu le coup. Aussi, je lui rejouais une scène d’un de ces films préférés. Sachant que c’était mon dernier coup de poker, j’y mettais toute ma sincérité. Au bout d’un moment, qui m’a semblé une éternité, il a finit par rouvrir et m’a regardé faire mon numéro. Puis je l’ai vu esquisser un sourire. Derrière lui, se tenait sa femme qui était venue se joindre au spectacle. Quand j’eus fini de faire l’acteur, ils n’ont pu s’empêcher de m’applaudir. Par la suite, je me suis présenté et nous avons pu discuter cinéma. Je lui ai dit que je cherchais un rôle et il m’a demandé ce que je faisais en attendant. Ce à quoi j’ai répondu que c’était moi le gars qui lui tenait la porte depuis plus d’une semaine. Il a rit. Que pouvait-il faire de plus ?

Peu après nous sommes sortis, ce qui bien évidemment ne rendit pas mon oncle fou de joie. J’abandonnais mon poste et je le mettais dans l’embarras. C’est lui qui m’avait recommandé. Mais il savait aussi que ce n’était pas pour finir portier que je m’étais taper tout ces cours de théâtre et ces années de galères à Paris allant de figuration en figuration, de casting en casting et rêvant sans cesse du grand jour ou le déclic se ferait. Je l’ai vite rassuré en lui promettant d’être fidèle à mon poste demain dimanche. Je lui doit bien ça.

Quelque chose me dit que mes amis ne me croiront pas quand je leur raconterais comment j’ai fait mes débuts au cinéma. J'aurais un petit rôle dans Le Dahlia Noir, c'est le titre du film sur lequel il travaille. C’est drôle, je ne sais pas pourquoi mais Brian de Palmas à trouvé que je serais parfait dans un rôle de portier. Il est allé jusqu'à me charrier en prétendant que j'aurais du postuler pour un rôle sur le film de science fiction de Roland Emmerich qui a pour titre Stargate, la porte des étoiles. Sous prétexte que le réalisateur était un bon ami à lui. C'est un vrai farceur ce gars là. Je l'aurais imaginé plus austère. Je lui est rétorqué que ce n'aurait plus été une fiction mais un documentaire. Et on éclaté de rire.

Bref, demain, je peaufinerais mon jeu et la pluie, qui en ce moment ne cesse de tomber  sur la ville à la palme d’or, ne sera plus qu’un vieux souvenir.

À Cannes le soleil il faut l’avoir dans le cœur, s’il n’est pas prévu dans le décor. Quant aux filles mieux vaut ne pas y songer un instant, Tom Cruise est toujours dans les parages venu faire la promotion d’un film de Steven Spielberg dans lequel il joue, le veinard. Franchement je ne sais pas ce qu’elles lui trouvent. Brad Pitt à la rigueur mais Tom Cruise… Faut pas charrier. Mais, qui sait, un jour quand je me retrouverais à l’affiche avec lui alors peut-être que je changerais d’avis. En attendant ce jour là, je suis ma bonne étoile ... 

08/08/2012

Lise pleure


Il m’arrive parfois de me souvenir d’un temps désormais révolu. Oui, je me souviens en effet d’un matin où je me suis levé tôt, j’ai pris mon petit déjeuner sur le pouce et embrassé ma copine de l’époque en guise d’au revoir. À cet instant précis où mes lèvres se sont posés sur les siennes dont, soit dit en passant, je ne notais pas la délicatesse tant j’étais pressé, j’ai vu passer dans son regard un drôle de sentiment que je n’ai pas su déchiffrer sur le moment. J’ai alors ouvert la porte tout en chassant de mon esprit l’impression bizarre que je venais de lire dans ce regard, et me suis mis à arpenter les couloirs de l’immeuble en direction de l’ascenseur. Mais pour une fois mon esprit ne me laissa pas tranquille : il y avait bien quelque chose d’étrange dans le regard de Lise. Une sorte de mélancolie associée à une rage féroce naviguait dans le gris clair de ses yeux. Mes intuitions sur les sentiments humains, j’avais l’habitude, jusque là, de ne pas trop m’y fier, mais pour une fois je décidais de faire une entorse à la règle. Lorsque l’ascenseur est enfin arrivé à l’étage, je n’étais plus là pour l’accueillir.

Une fois devant la porte de Lise je me suis tu et j'ai tendu l’oreille. De longs sanglots d’abord étouffés puis finalement lâchés provenaient de derrière la porte. Il n’y avait pas plusieurs conclusions possibles à tirer : Lise pleure.

Je frappe à la porte. Elle me demande qui est là. Je lui fais savoir que c’est moi. Ce à quoi elle me répond de m’en aller, de la laisser tranquille. J’insiste. Elle finit par m’ouvrir. Je ne trouve pas mieux que de lui demander pourquoi elle pleure. Tout en séchant ses larmes elle me regarde l’air de dire : « En plus il a le culot de me demander pourquoi je pleure ! » C’est bien connu songe-t-elle sans doute à cette instant, les femmes pleurent parce que les hommes sont lâches. La réponse ne fait pas l’ombre d’un doute pour elle, et je ne suis pas sensé l’ignorer. C’est pourquoi elle ne me répond pas. Je n’ai pas à poser la question puisque la réponse est une évidence. C’est à cause de moi que Lise pleure. Et au fond de moi, je songe me rappelant d’autres situations : « C’est à cause de moi qu’elles pleurent » Le pluriel n’est pas une erreur. Je l’avais une fois de plus négligée.

Voilà comment les choses se sont déroulée, voilà comment j’en suis arrivé à cette situation : La nuit précédente, je suis arrivé chez elle comme un fanfaron, la bouche en cœur (bien évidemment). Elle, comme à son habitude, avait mis les petits plats dans les grands. Nous avions fait un bon dîner puis nous avions sans doute écouté quelques artistes de soûl musique du genre Lucy Pearl, Curtis Mayfield, Otis Reding, Marvin Gaye, etc. Après peut-être avions nous fait l’amour.

Seulement voilà que le jour se lève et moi avec. Je me précipite dans la cuisine, avale mon petit déjeuner, me faufile dans la salle de bain et après une toilette rapide, un baiser furtif déposé sur ses lèvres, je m’empresse de disparaître derrière la porte de Lise.
Cela faisait un peu plus de trois mois que nous étions ensemble et pendant tout ce temps, je ne songeais qu’à une seule chose : réussir à mener à termes mes recherches universitaires. Bref, je la négligeais.

C’est pourquoi ce matin après avoir séché ses larmes, Lise me fait comprendre que je suis trop dur avec elle et qu’elle ne se sent pas la force de pouvoir me supporter plus longtemps. Je la regarde, apathique, neutre. Lise pleure et moi je n’y arrive plus. Ma carapace est bien trop épaisse. Pourtant comme les mots me manquent, je passe mes mains dans ses boucles brunes. C’est qu’au fond de moi je sais les sentiments qu’elle m’inspire. La serrer dans mes bras ? Songez vous ?… Je ne me souviens pas d’avoir eu cet élan. Mais aujourd’hui que j’y repense, je me dis que si je ne l’ai pas fait j’aurais pourtant dû. Par contre je me souviens d’autre chose. Ce jour où Lise n’a de cesse de sécher ses larmes, elle doit aller travailler, alors j’attends qu’elle finisse de se préparer et je la suis. Nous voilà dans les couloirs de l’immeuble puis bientôt dans l’ascenseur. Un lourd silence pèse sur le couple bancal que nous formons. Je la regarde. Fragile. Elle esquisse un sourire. Mélancolie. Elle parle, s’interroge sur la logique de notre relation. Faut-il que nous continuions à nous fréquenter ? Ne ferrions nous pas mieux de nous dire adieu, comme nous y invitent les paroles de la chanson, avant que nous ne fussions trop vieux ? Les souvenirs que nous garderions alors de notre relation s’en trouveraient sans doute plus beaux, dit-elle, si nous décidions là, maintenant, de prendre des chemins différents voire même opposés.

À tout cela je ne réponds rien mais en mon for intérieur je pense : « Bon sang encore une qui veut me briser le cœur ! » En réalité pour que cela soit possible encore faut-il que mon pauvre cœur soit toujours en un seul morceau. Il se trouve juste que là ce n’est pas le cas. Je m’en rappelle sur l’instant, parce qu’on sollicite à nouveau cette région de ma personne dont la raison m’avait éloigné depuis bien longtemps.

Comme j’ai conscience que les individus compliqué ont intérêt d’être clair dans leurs propos sans quoi ils condamnés à vivre avec leurs bruits intérieurs, je n’éprouve aucune difficulté à faire comprendre à Lise que mes recherches universitaires me demandent un investissement énorme. Je lui explique que c’est la seule façon de m’y prendre sans quoi je risque d’échouer.

Et de tout évidence je n’envisage pas un seul instant cette éventualité. Il faut dire que je m’imaginais alors que la réussite de ce diplôme me sortirait de nombre de tracas que je trimballais depuis un certain nombre d’années. C’est donc avec le succès pour unique horizon que je me suis engagé dans ces recherches. Ni plus, ni moins. Lise devait ou pouvait attendre.

Pendant que nous parlons, nous nous éloignons de notre point de départ. Bientôt, l’immeuble n’est plus qu’un point situé loin derrière nous. Nous prenons la première rue à gauche en direction de la gare. Un peu avant d’atteindre la gare nous bifurquons à droite. Aujourd’hui nous avons décidé de ne pas prendre le train pour nous rendre dans la capitale. Nous quitterons donc Mantes-La-Jolie en bus. Après quoi nous prendrions le métro une fois sur Paris pour atteindre chacun nos destinations respectives. Mais en attendant le bus nous nous jouons la scène des ces douleurs qui résultent de l’incompréhension mutuelle qui est – crois-je – inhérente à toute relation amoureuse. Je ne sais si j’ai pris Lise dans mes bras à ce moment là. Mais si je ne l’ai pas fait je sais que j’aurais dû.

Ce n’est pas ce jour là que nous avons décidé de ne plus nous revoir mais ça aurait pu. Simple signe avant coureur. Maintenant je le sais. Il y a une autre chose que je sais également : ce jour où les larmes de Lise m'ont ouvert les yeux sur ma difficulté à concilier le passé et le présent, nous n’avons fait que reculer l’échéance dans l’espoir que les choses s’arrangeraient. Elles se sont sans doute atténuées puisque nous sommes restés un bon moment ensemble. Mais elles ne sont pas arrangées.
Certes, j’ai fini par obtenir mon diplôme avec une mention très bien, mais à quel prix ? À chaque instant je prenais le risque de mettre de côté ma relation avec Lise. Puis lorsque cela se produisait, comme rattrapé par ma conscience de l'importance qu'avait cette relation dans mon bien être je courais après Lise. Au final c'était un peu comme si dès le départ elle avait pris une longueur d’avance sur moi. Distance que je n’ai jamais vraiment réussi à rattraper

Je me souviens en effet d’un matin où, aux aguets derrière la porte d’un immeuble de Mantes-la-Jolie, j’ai entendu de longs sanglots qui en auraient fait fuir plus d’un. Mais moi mon cœur compliqué m’a conseillé de tenter de comprendre la raison de ses pleurs. Je voulais savoir pourquoi les choses me semblaient si alambiqués alors qu’en apparence elles pouvaient être beaucoup plus simple. Aujourd’hui encore je cherche une réponse à cette question bien que plus le temps passe, je sois de plus en plus convaincu qu’il n’y a pas de réponse définitive à cette interrogation. Toutefois, je me rassure en me disant que de cette expérience j’ai su tirer un enseignement à savoir qu’il ne faut pas que je m’éloigne trop longtemps de cette région de ma personne qui est généralement désigné comme le lieu où siègent nos émotions.

Dagara Dakin

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