08/08/2012

Lise pleure


Il m’arrive parfois de me souvenir d’un temps désormais révolu. Oui, je me souviens en effet d’un matin où je me suis levé tôt, j’ai pris mon petit déjeuner sur le pouce et embrassé ma copine de l’époque en guise d’au revoir. À cet instant précis où mes lèvres se sont posés sur les siennes dont, soit dit en passant, je ne notais pas la délicatesse tant j’étais pressé, j’ai vu passer dans son regard un drôle de sentiment que je n’ai pas su déchiffrer sur le moment. J’ai alors ouvert la porte tout en chassant de mon esprit l’impression bizarre que je venais de lire dans ce regard, et me suis mis à arpenter les couloirs de l’immeuble en direction de l’ascenseur. Mais pour une fois mon esprit ne me laissa pas tranquille : il y avait bien quelque chose d’étrange dans le regard de Lise. Une sorte de mélancolie associée à une rage féroce naviguait dans le gris clair de ses yeux. Mes intuitions sur les sentiments humains, j’avais l’habitude, jusque là, de ne pas trop m’y fier, mais pour une fois je décidais de faire une entorse à la règle. Lorsque l’ascenseur est enfin arrivé à l’étage, je n’étais plus là pour l’accueillir.

Une fois devant la porte de Lise je me suis tu et j'ai tendu l’oreille. De longs sanglots d’abord étouffés puis finalement lâchés provenaient de derrière la porte. Il n’y avait pas plusieurs conclusions possibles à tirer : Lise pleure.

Je frappe à la porte. Elle me demande qui est là. Je lui fais savoir que c’est moi. Ce à quoi elle me répond de m’en aller, de la laisser tranquille. J’insiste. Elle finit par m’ouvrir. Je ne trouve pas mieux que de lui demander pourquoi elle pleure. Tout en séchant ses larmes elle me regarde l’air de dire : « En plus il a le culot de me demander pourquoi je pleure ! » C’est bien connu songe-t-elle sans doute à cette instant, les femmes pleurent parce que les hommes sont lâches. La réponse ne fait pas l’ombre d’un doute pour elle, et je ne suis pas sensé l’ignorer. C’est pourquoi elle ne me répond pas. Je n’ai pas à poser la question puisque la réponse est une évidence. C’est à cause de moi que Lise pleure. Et au fond de moi, je songe me rappelant d’autres situations : « C’est à cause de moi qu’elles pleurent » Le pluriel n’est pas une erreur. Je l’avais une fois de plus négligée.

Voilà comment les choses se sont déroulée, voilà comment j’en suis arrivé à cette situation : La nuit précédente, je suis arrivé chez elle comme un fanfaron, la bouche en cœur (bien évidemment). Elle, comme à son habitude, avait mis les petits plats dans les grands. Nous avions fait un bon dîner puis nous avions sans doute écouté quelques artistes de soûl musique du genre Lucy Pearl, Curtis Mayfield, Otis Reding, Marvin Gaye, etc. Après peut-être avions nous fait l’amour.

Seulement voilà que le jour se lève et moi avec. Je me précipite dans la cuisine, avale mon petit déjeuner, me faufile dans la salle de bain et après une toilette rapide, un baiser furtif déposé sur ses lèvres, je m’empresse de disparaître derrière la porte de Lise.
Cela faisait un peu plus de trois mois que nous étions ensemble et pendant tout ce temps, je ne songeais qu’à une seule chose : réussir à mener à termes mes recherches universitaires. Bref, je la négligeais.

C’est pourquoi ce matin après avoir séché ses larmes, Lise me fait comprendre que je suis trop dur avec elle et qu’elle ne se sent pas la force de pouvoir me supporter plus longtemps. Je la regarde, apathique, neutre. Lise pleure et moi je n’y arrive plus. Ma carapace est bien trop épaisse. Pourtant comme les mots me manquent, je passe mes mains dans ses boucles brunes. C’est qu’au fond de moi je sais les sentiments qu’elle m’inspire. La serrer dans mes bras ? Songez vous ?… Je ne me souviens pas d’avoir eu cet élan. Mais aujourd’hui que j’y repense, je me dis que si je ne l’ai pas fait j’aurais pourtant dû. Par contre je me souviens d’autre chose. Ce jour où Lise n’a de cesse de sécher ses larmes, elle doit aller travailler, alors j’attends qu’elle finisse de se préparer et je la suis. Nous voilà dans les couloirs de l’immeuble puis bientôt dans l’ascenseur. Un lourd silence pèse sur le couple bancal que nous formons. Je la regarde. Fragile. Elle esquisse un sourire. Mélancolie. Elle parle, s’interroge sur la logique de notre relation. Faut-il que nous continuions à nous fréquenter ? Ne ferrions nous pas mieux de nous dire adieu, comme nous y invitent les paroles de la chanson, avant que nous ne fussions trop vieux ? Les souvenirs que nous garderions alors de notre relation s’en trouveraient sans doute plus beaux, dit-elle, si nous décidions là, maintenant, de prendre des chemins différents voire même opposés.

À tout cela je ne réponds rien mais en mon for intérieur je pense : « Bon sang encore une qui veut me briser le cœur ! » En réalité pour que cela soit possible encore faut-il que mon pauvre cœur soit toujours en un seul morceau. Il se trouve juste que là ce n’est pas le cas. Je m’en rappelle sur l’instant, parce qu’on sollicite à nouveau cette région de ma personne dont la raison m’avait éloigné depuis bien longtemps.

Comme j’ai conscience que les individus compliqué ont intérêt d’être clair dans leurs propos sans quoi ils condamnés à vivre avec leurs bruits intérieurs, je n’éprouve aucune difficulté à faire comprendre à Lise que mes recherches universitaires me demandent un investissement énorme. Je lui explique que c’est la seule façon de m’y prendre sans quoi je risque d’échouer.

Et de tout évidence je n’envisage pas un seul instant cette éventualité. Il faut dire que je m’imaginais alors que la réussite de ce diplôme me sortirait de nombre de tracas que je trimballais depuis un certain nombre d’années. C’est donc avec le succès pour unique horizon que je me suis engagé dans ces recherches. Ni plus, ni moins. Lise devait ou pouvait attendre.

Pendant que nous parlons, nous nous éloignons de notre point de départ. Bientôt, l’immeuble n’est plus qu’un point situé loin derrière nous. Nous prenons la première rue à gauche en direction de la gare. Un peu avant d’atteindre la gare nous bifurquons à droite. Aujourd’hui nous avons décidé de ne pas prendre le train pour nous rendre dans la capitale. Nous quitterons donc Mantes-La-Jolie en bus. Après quoi nous prendrions le métro une fois sur Paris pour atteindre chacun nos destinations respectives. Mais en attendant le bus nous nous jouons la scène des ces douleurs qui résultent de l’incompréhension mutuelle qui est – crois-je – inhérente à toute relation amoureuse. Je ne sais si j’ai pris Lise dans mes bras à ce moment là. Mais si je ne l’ai pas fait je sais que j’aurais dû.

Ce n’est pas ce jour là que nous avons décidé de ne plus nous revoir mais ça aurait pu. Simple signe avant coureur. Maintenant je le sais. Il y a une autre chose que je sais également : ce jour où les larmes de Lise m'ont ouvert les yeux sur ma difficulté à concilier le passé et le présent, nous n’avons fait que reculer l’échéance dans l’espoir que les choses s’arrangeraient. Elles se sont sans doute atténuées puisque nous sommes restés un bon moment ensemble. Mais elles ne sont pas arrangées.
Certes, j’ai fini par obtenir mon diplôme avec une mention très bien, mais à quel prix ? À chaque instant je prenais le risque de mettre de côté ma relation avec Lise. Puis lorsque cela se produisait, comme rattrapé par ma conscience de l'importance qu'avait cette relation dans mon bien être je courais après Lise. Au final c'était un peu comme si dès le départ elle avait pris une longueur d’avance sur moi. Distance que je n’ai jamais vraiment réussi à rattraper

Je me souviens en effet d’un matin où, aux aguets derrière la porte d’un immeuble de Mantes-la-Jolie, j’ai entendu de longs sanglots qui en auraient fait fuir plus d’un. Mais moi mon cœur compliqué m’a conseillé de tenter de comprendre la raison de ses pleurs. Je voulais savoir pourquoi les choses me semblaient si alambiqués alors qu’en apparence elles pouvaient être beaucoup plus simple. Aujourd’hui encore je cherche une réponse à cette question bien que plus le temps passe, je sois de plus en plus convaincu qu’il n’y a pas de réponse définitive à cette interrogation. Toutefois, je me rassure en me disant que de cette expérience j’ai su tirer un enseignement à savoir qu’il ne faut pas que je m’éloigne trop longtemps de cette région de ma personne qui est généralement désigné comme le lieu où siègent nos émotions.

Dagara Dakin

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