26/11/2009




Où en sommes-nous avec nous-mêmes ? par Minga Sigui Siddick

Aujourd'hui, de plus en plus de discours se construisent autour des "identités" culturelles ou nationales. Peut-être la preuve que l'humanité a atteint un stade de régression morale tel que des individus, se sentant fragilisés ou éprouvant des sentiments d'envahissement par des cultures "agressives" qui semblent les noyer, s'agrippent à une notion qui leur apparaît soudain comme une bouée de sauvetage, une rame de survie : l'identité.

Du coup, nous croyons résoudre des conflits sociaux par des réflexions ou des débats alambiqués et tendancieux sur l'identité. Comme si l'identité avait un rapport avec les régressions morales dont souffrent nos sociétés en crise constante de modernité. Nos sociétés dont la vitesse de mobilité des repères donne un vertige tel qu'il inspire les acrobates de l'esprit qui veulent toujours expliquer l'insondable nature des choses.

Je crois que la plupart des penseurs modernes tombent dans le piège des hommes politiques qui construisent leur popularité sur la fragilisation des couches sociales, par des mécanismes de division, d'opposition et de fracture mentale, basés sur des discours "identitaires".

Mais quelle est la part de l'identité dans ces tourbillons de la modernité qui nous emportent ? Quel rapport existe-t-il entre identité et culture ? Peut-on parler d'une identité nationale à côté d'une identité culturelle ? Une culture se définit-elle par rapport à une nation ou par rapport à un individu, un groupe, une ethnie ? Ce qui fait de nous des êtres humains sociables, sensibles, solidaires, altruistes, est-ce notre identité (culturelle) ou notre culture (identitaire) ? Ce qui, en nous, s'effrite, se désagrège, se détruit au contact des vagues violentes de la modernité, est-ce notre identité ou notre culture ?

À mon avis, la culture est l'ensemble des pratiques naturelles propres à un groupe d'individus (êtres humains ou animaux). Ces pratiques acquises par la répétition dans le temps et transmise de génération en génération sont généralement liées à un environnement, à un écosystème. Mais le mécanisme de transmission de ces pratiques appelées finalement valeurs traditionnelles s'affaiblit d'âge en âge, surtout en ces temps où les déplacements des populations, les échanges sociaux et commerciaux aboutissent à un brassage qui dilue nos valeurs dans un processus immuable, irréversible. Cela peut ne pas se passer sans douleur, mais bien souvent, cela se fait sans heurt majeur, dans un esprit de partage.

Quant à l'identité, politiquement pensée, je la considère comme un ensemble d'éléments créés par des hommes, pour tracer des frontières entre des communautés, des sociétés, des territoires. Et, c'est dans le caractère arbitraire de ces éléments d'identification sociaux ou culturels, qu'il faut chercher l'origine de certaines crises de notre village mondialisé.

Ainsi, girouettes du temps qui nous façonne à sa guise et soumis malgré nous aux assauts fantaisistes des vents mêlés qui soufflent de partout, nous avons perdu l'essentiel de notre capacité de discernement et croyons trouver dans des réflexions sur l'identité, la panacée à notre mal-être. Oubliant que tous les êtres humains sont plus ou moins victimes de certaines formes vertigineuses de développement qui les projettent parfois trop loin dans le futur, sans tenir compte du niveau de maturité mentale des uns et des autres. Et que la déchirure qui peut s'en suivre, contribue à créer de plus en plus de personnalités désaxées, déroutées, désorientées. Ces personnalités-là, souffrent-elles d'un mal identitaire ou d'un mal de la modernité ? Si plusieurs personnes atteintes de ce mal vivent, accidentellement parfois, en communauté, peut-on les juger comme ayant la même identité ?

L'identité, politiquement pensée, n'est-elle pas, en définitive, une notion confligène de plus, qui divise inutilement les humains en catégories sociales où les uns n'auraient que des qualités et des forces et les autres n'auraient que des défauts et des faiblesses ? N'est-ce pas une notion gratuitement perverse qui nous gonfle d'un orgueil et d'une fierté de mauvais aloi ? Je pense, sincèrement, que nous devons prendre plus de temps à développer nos potentialités d'humains, c'est-à-dire d'êtres bien pensants, perfectibles et charitables, qu'à réfléchir sur notre identité politiquement pensée. Nous devons chercher à savoir jusqu'où nous sommes humains, c'est-à-dire, tolérants, compréhensifs, humbles et généreux. Parce que je considère la nature humaine comme une identité suffisante. Parce qu' il n'y a pas d'identités meurtrières, il n'y a que des pensées criminelles. Nous devons chercher à maîtriser tous les progrès de la science et de la technologie afin de les régler en fonction de la compréhension humaine du moment. Si l'humanité à une ennemie, c'est la modernité à outrance, celle qui viole les limites du temps et brouille les repères. Voilà un sujet de réflexion ou de débat !

Minga Sigui Siddick (Journaliste indépendant à Bamako)

25/11/2009




FRONTIÈRES CONTRASTÉES
Compte rendu des Rencontres de Bamako 09


L’édition 2009 de la Biennale photographique de Bamako, sera, à n’en pas douter, considérée comme une belle édition.
Les réponses des artistes au thème des Frontières - axe autour duquel s’articulait, cette manifestation - révèle non seulement l’actualité, la complexité mais aussi le caractère contrasté des points de vue sur la question.

De l’exclusion

De ces multiples regards, il faut souligner le discours tout en retenue du réunionnais Yo-Yo Gonthier. Son travail, qualifié par l’écrivain Manthia Diawara de « discret et intelligent », révèle, tout en discrétion, comment, à l'île Maurice, certaines plages sont progressivement devenues des propriétés privées. Ces images disent la violence sourde des frontières qui s’instaurent sur ces espaces de liberté entre riches et pauvres.

La frontière c’est aussi celle qui exclue du fait des différences. Différences qui s’expriment par la couleur de la peau comme dans la série de portraits d’albinos du jeune prodige, issu du Cadre de promotion pour la Formation en Photographie, Seydou Camara. Le respect que ce dernier porte à ses sujets transparaît dans la justesse de son regard.

Du genre

La question de l’homosexualité et le rejet qu’il induit dans les sociétés africaines, est abordée dans la vidéo du nigérian Andrew Esiebo. Quant aux photographies de la sud-africaine Zanele Muholi extraites de la série Miss D’vine, elles abordent la question de genre qu'est la transsexualité. Si l’on savait que ces thématiques étaient objet de débat dans la société sud-africaine, le tabou dont elles sont revêtues dans les autres pays africains semblent interroger les artistes qui y vivent. Zanele Muholi a clairement affichée son souhait de voir évoluer les mentalités sur ces sujets lors du discours qu’elle a prononcé en recevant le prix Casa Africa. Ce prix distingue une photographe résidant en Afrique et permet la publication d’une monographie, de même que l’édition d’une collection spécialisée. A cela s'ajoute une exposition monographique à las Palmas (Canaries) et des itinérences.

Espoirs déçus

La série intitulée « Espoir déchu des Darfouris au Caire » de l’Égyptienne Myriam Abdelaziz, nous rappelle que l’Europe n’est pas le seul Eldorado qui fait le désespoir de nombre de migrants. Ce reportage photo met la lumière sur l’exclusion que subissent les Darfouris au Caire, lieu où ils espéraient trouver de meilleures conditions de vie.

De la même manière, la sud-africaine Jodi Bieber - lauréate du prix de l’Union européenne, distinguant le meilleur photographe de presse ou de reportage - nous remet en mémoire la politique de reconduite à la frontière des clandestins que pratique l’Afrique du Sud. Elle nous rappelle que la gestion de la question des migrations illégales est similaire en Afrique et en Europe. On a tendance en effet à l’oublier, mais de plus en plus d’accords sont passés entre les pays du sud et ceux du nord sur ce sujet. Mais au-delà, les politiques africaines ont tendance à calquer leur manière de faire sur le modèle occidental.

Entre réel et frictions

Comme en réponse à ces reconduites à la frontière, le sud-africain Graeme Williams rétorque que : « la seule mesure pour un changement durable en Afrique du Sud ne peut être qu’une réelle amélioration effective de la vie des pauvres. » Sa réponse se traduit en photographie par des images très colorées représentant des personnages réels côtoyant des figures dessinées habituellement présentes dans l’espace public sous des formes diverses, telles qu’images publicitaires, mannequins, etc. Il ne s’agit pas de mise en scène, mais d’instants captés par l'oeil exercé du photographe. Il joue ainsi des contrastes entre condition sociale de ses sujets et images de l’espace public. Par ses constructions visuelles Graeme Williams cherche à souligner la frontière existant entre vie rêvée et vie vécue de ses protagonistes. Sous son angle de vue , la pauvreté apparaît comme la non réalisation des rêves. Si l'on suit son raisonnement, l'amélioration de la condition des pauvres en Afrique du Sud - et sans doute partout ailleurs - passe nécessairement par la mise en place de politiques qui permettent à tout un chacun de se réaliser.

Mohammed Bourrouissa - l’une des révélations de la scène photographique actuelle - joue également, dans ses mises en scène, des notions que sont le réel et la fiction. A la manière d'un Jeff Wall, son langage emprunte aux images que l’on retrouve dans nombre de quotidiens ou magazines et qui ont pour sujet les « Périphéries » (titre de la série) communément appelé les banlieues françaises, même si le terme "quartiers populaires" semble vouloir lui succéder. L’artiste revisite ainsi ces « clichés », les interroge et oblige le regardeur à une attention plus accrue quant à la supposée vérité des images.

Vue globale

Dans la section internationale, la multiplicité des points de vue ainsi que la variété des sujets, illustrait parfaitement la complexité de la question des frontières. En parcourant de manière non exhaustive l’exposition internationale, il était agréable de voir la richesse de la production photographique sur le continent et au-delà. Le visiteur sort de là en ayant éprouvé la complexité des interrogations que pose la notion de frontière à notre époque dite de globalisation.

Dagara Dakin

Pour un éclairage beaucoup plus large et critique suivre ce lien : http://www.perrinatou.ouvaton.org/spip.php?article124

IN_SECURE





Œuvre du plasticien franco-béninois, Dimitri Fagbohoun, la vidéo intitulée In_Secure fut présentée pour la première fois lors du Festival panafricain d’Alger en juillet 2009. D’une durée de 6 minutes, elle aborde sous un angle particulier, la question de l’immigration illégale et plus précisément les conditions de vie qu’engendre ce type de migration.

Un titre, deux sens

Le titre de la vidéo In_Secure cherche à faire entendre dans une même locution un sens et son contraire. Soit à la fois, la notion de Sécurité et celle d'insécurité. Ce titre renvoie au contenu de la vidéo, lequel présente des portraits de vigiles chargés d'assurer la sécurité de lieux tels que, bâtiments officiels, banque, hôpitaux, etc. Mais ces vigiles ont la particularité d'être eux-mêmes en situation d'insécurité parce que sans papiers et donc menacé de reconduite à la frontière.
Ce que l'artiste veut pointer du doigt, c'est bien évidemment le paradoxe de la situation de ces vigiles et plus particulièrement l'état psychologique dans lequel ils sont plongés du fait de leurs conditions d'illégaux. On peut se demander, en effet, comment dans leur situation ces personnes peuvent être les garantes d'une protection dont elles-mêmes ne bénéficient pas.
Elles sont considérées comme illégales, par conséquent elles ne devraient pas occuper ces postes. Mais, la réalité économique en fait des candidats idéaux pour ce type d'activité. Ils sont une main d'œuvre bon marché, qui ne peut avoir d'exigence particulière parce que fragilisé de par leur statut de hors la loi.

De la photographie d’identité

Les photographies d’identité qui se succèdent sur l‘écran, ont été réalisées en vue d’établir des badges de services. Elles n’ont pas été prises par l’artiste. Il les a récupéré à l’insu des protagonistes.
L’artiste s’en sert comme d’un matériau, les faisant se succéder à l’écran par le truchement de divers procédés qui alternent, fondu enchaîné, images colorisées, images radiographiques ou comme obtenues à partir d’une vision en infrarouge. Ce qui renvoie à l’imagerie sécuritaire. Cela étant, les photographies qui se succèdent à l’écran ont beau être des photographies dites d’identité, elles ne nous renseignent en rien sur l’identité des protagonistes. Ce que nous appelons communément photographie d’identité ne suffit pas à établir l’identité d’une personne. Elle doit s'accompagner d'un certain nombre d'éléments pour prendre sens. Les portraits qui se succèdent ont beau être des photographies au format des photographies d'identité, ces personnes demeurent des anonymes aux yeux du spectateur.
Le propos de l'artiste n'est pas de mettre un nom sur ces portraits mais plutôt de donner un visage à un état ou un phénomène d'ordre psychologique. Comme il le dit lui-même : « Au delà de toute critique sur leur condition sociale, c’est l’aspect humain, psychologique qui m’intéressait. En effet, il y a une espèce de schizophrénie à aller travailler pour une entreprise de sécurité alors que l’on peut être arrêté à tout moment comme un hors la loi. C’est ce sentiment que je cherche à retranscrire.»

Le dispositif sonore

Si la vidéo est une affaire d’images, c’est aussi une affaire de son et dans le cas présent, l’un ne fonctionne pas sans l’autre.
Le dispositif sonore, se présente comme un assemblage hétéroclite de sons. Des pulsations cardiaques rythment la succession des images. Puis viennent des bruits de bottes qui font penser à une marche militaire. L’extrait d’un discours du leader noir américain, Malcom X, vient interférer, comme un court-circuit historique, tandis que, progressivement, en arrière plan de ces sons, des voix se font entendre. Dans un premier temps, elles font penser à une scène qui se déroulerait dans un bar ou un quelconque lieu très fréquenté. Mais lorsqu'on comprend ou que l'on apprend qu'il s'agit de l'enregistrement d'une scène de reconduite à la frontière enregistrée dans un aéroport espagnol, le tout prend une autre dimension.
Dès lors, le fond sonore se présente comme une menace en toile de fond, un peu comme une épée de Damoclès qui serait suspendu au-dessus de la tête de ces personnes.
Le rythme cardiaque diffuse un sentiment d’oppression, l’angoisse est palpable. Quant à la marche militaire, elle vient comme pour appuyer et renforcer toutes ces sensations.

Dimitri Fagbohoun, essaie par le biais des matériaux que sont l'image et le son, de nous faire percevoir, quelque chose qui est de l'ordre de l'affect, à savoir le sentiment d'insécurité. Un sentiment que nous connaissons tous à des degrés divers mais qui est, semble-t-il, le quotidien de ces anonymes dont-il tente ici, d'esquisser un portrait psychologique.
L'artiste ne prend pas de distance avec le sujet. Il en sonde plutôt les affects, prenant par la même occasion le risque de tomber dans le pathos. Toutefois, on ne saisit pas pleinement la mesure du propos si on en reste là. Le titre de l'œuvre à son importance, qui nous ouvre une lecture plus politiquement marquée. Il y est question de Sécurité et d'insécurité, deux termes que le discours politique emploi régulièrement quand il est question d'immigration ou d’une certaine catégorie d'étranger pour être plus exact.
Si ce thème n’est pas clairement énoncé, il revient malgré tout de façon, disons, sous-entendu.
Le double sens, du titre In_Secure a son importance puisqu’il souligne la dimension toute relative de la notion de sécurité. En effet, le sentiment d'insécurité engendre la quête de la sécurité. Seulement, le sentiment que procure la sécurité, ne se préserve qu'au moyen de toute une gamme de dispositif, que connaît bien notre époque, et qui, tel un puits sans fond, tire graduellement vers la surenchère sécuritaire.

L'artiste

Dimitri Fagbohoun est né en 1972 d’un père béninois et d’une mère ukrainienne. Il utilise la photographie, la vidéo et l’installation comme moyen d’expression. Dans son œuvre, il s’intéresse aux questions ayant trait à l’identité, la politique et la mémoire. Il a notamment exposé dans le cadre des Rencontres Africaines de la photographie de Bamako en 2007. En 2010, à Paris, il a participé à l'exposition dialogue, Passés Composés qui avait pour thème la mémoire.

Cette article est paru dans la revue Hommes et Migrations de décembre 2010

Dagara Dakin

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