25/11/2009

IN_SECURE





Œuvre du plasticien franco-béninois, Dimitri Fagbohoun, la vidéo intitulée In_Secure fut présentée pour la première fois lors du Festival panafricain d’Alger en juillet 2009. D’une durée de 6 minutes, elle aborde sous un angle particulier, la question de l’immigration illégale et plus précisément les conditions de vie qu’engendre ce type de migration.

Un titre, deux sens

Le titre de la vidéo In_Secure cherche à faire entendre dans une même locution un sens et son contraire. Soit à la fois, la notion de Sécurité et celle d'insécurité. Ce titre renvoie au contenu de la vidéo, lequel présente des portraits de vigiles chargés d'assurer la sécurité de lieux tels que, bâtiments officiels, banque, hôpitaux, etc. Mais ces vigiles ont la particularité d'être eux-mêmes en situation d'insécurité parce que sans papiers et donc menacé de reconduite à la frontière.
Ce que l'artiste veut pointer du doigt, c'est bien évidemment le paradoxe de la situation de ces vigiles et plus particulièrement l'état psychologique dans lequel ils sont plongés du fait de leurs conditions d'illégaux. On peut se demander, en effet, comment dans leur situation ces personnes peuvent être les garantes d'une protection dont elles-mêmes ne bénéficient pas.
Elles sont considérées comme illégales, par conséquent elles ne devraient pas occuper ces postes. Mais, la réalité économique en fait des candidats idéaux pour ce type d'activité. Ils sont une main d'œuvre bon marché, qui ne peut avoir d'exigence particulière parce que fragilisé de par leur statut de hors la loi.

De la photographie d’identité

Les photographies d’identité qui se succèdent sur l‘écran, ont été réalisées en vue d’établir des badges de services. Elles n’ont pas été prises par l’artiste. Il les a récupéré à l’insu des protagonistes.
L’artiste s’en sert comme d’un matériau, les faisant se succéder à l’écran par le truchement de divers procédés qui alternent, fondu enchaîné, images colorisées, images radiographiques ou comme obtenues à partir d’une vision en infrarouge. Ce qui renvoie à l’imagerie sécuritaire. Cela étant, les photographies qui se succèdent à l’écran ont beau être des photographies dites d’identité, elles ne nous renseignent en rien sur l’identité des protagonistes. Ce que nous appelons communément photographie d’identité ne suffit pas à établir l’identité d’une personne. Elle doit s'accompagner d'un certain nombre d'éléments pour prendre sens. Les portraits qui se succèdent ont beau être des photographies au format des photographies d'identité, ces personnes demeurent des anonymes aux yeux du spectateur.
Le propos de l'artiste n'est pas de mettre un nom sur ces portraits mais plutôt de donner un visage à un état ou un phénomène d'ordre psychologique. Comme il le dit lui-même : « Au delà de toute critique sur leur condition sociale, c’est l’aspect humain, psychologique qui m’intéressait. En effet, il y a une espèce de schizophrénie à aller travailler pour une entreprise de sécurité alors que l’on peut être arrêté à tout moment comme un hors la loi. C’est ce sentiment que je cherche à retranscrire.»

Le dispositif sonore

Si la vidéo est une affaire d’images, c’est aussi une affaire de son et dans le cas présent, l’un ne fonctionne pas sans l’autre.
Le dispositif sonore, se présente comme un assemblage hétéroclite de sons. Des pulsations cardiaques rythment la succession des images. Puis viennent des bruits de bottes qui font penser à une marche militaire. L’extrait d’un discours du leader noir américain, Malcom X, vient interférer, comme un court-circuit historique, tandis que, progressivement, en arrière plan de ces sons, des voix se font entendre. Dans un premier temps, elles font penser à une scène qui se déroulerait dans un bar ou un quelconque lieu très fréquenté. Mais lorsqu'on comprend ou que l'on apprend qu'il s'agit de l'enregistrement d'une scène de reconduite à la frontière enregistrée dans un aéroport espagnol, le tout prend une autre dimension.
Dès lors, le fond sonore se présente comme une menace en toile de fond, un peu comme une épée de Damoclès qui serait suspendu au-dessus de la tête de ces personnes.
Le rythme cardiaque diffuse un sentiment d’oppression, l’angoisse est palpable. Quant à la marche militaire, elle vient comme pour appuyer et renforcer toutes ces sensations.

Dimitri Fagbohoun, essaie par le biais des matériaux que sont l'image et le son, de nous faire percevoir, quelque chose qui est de l'ordre de l'affect, à savoir le sentiment d'insécurité. Un sentiment que nous connaissons tous à des degrés divers mais qui est, semble-t-il, le quotidien de ces anonymes dont-il tente ici, d'esquisser un portrait psychologique.
L'artiste ne prend pas de distance avec le sujet. Il en sonde plutôt les affects, prenant par la même occasion le risque de tomber dans le pathos. Toutefois, on ne saisit pas pleinement la mesure du propos si on en reste là. Le titre de l'œuvre à son importance, qui nous ouvre une lecture plus politiquement marquée. Il y est question de Sécurité et d'insécurité, deux termes que le discours politique emploi régulièrement quand il est question d'immigration ou d’une certaine catégorie d'étranger pour être plus exact.
Si ce thème n’est pas clairement énoncé, il revient malgré tout de façon, disons, sous-entendu.
Le double sens, du titre In_Secure a son importance puisqu’il souligne la dimension toute relative de la notion de sécurité. En effet, le sentiment d'insécurité engendre la quête de la sécurité. Seulement, le sentiment que procure la sécurité, ne se préserve qu'au moyen de toute une gamme de dispositif, que connaît bien notre époque, et qui, tel un puits sans fond, tire graduellement vers la surenchère sécuritaire.

L'artiste

Dimitri Fagbohoun est né en 1972 d’un père béninois et d’une mère ukrainienne. Il utilise la photographie, la vidéo et l’installation comme moyen d’expression. Dans son œuvre, il s’intéresse aux questions ayant trait à l’identité, la politique et la mémoire. Il a notamment exposé dans le cadre des Rencontres Africaines de la photographie de Bamako en 2007. En 2010, à Paris, il a participé à l'exposition dialogue, Passés Composés qui avait pour thème la mémoire.

Cette article est paru dans la revue Hommes et Migrations de décembre 2010

Dagara Dakin

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