23/09/2010

BEACH

Une série photographique de Yo-Yo Gonthier

Présenté en partie lors des 8èmes rencontres photographiques de Bamako qui se sont tenues du 7 novembre au 7 décembre 2009 dans la capitale malienne, la série Beach du photographe plasticien Yo-Yo Gonthier s'attache avec intelligence et discrétion - pour reprendre les mots de l'écrivain Manthia Diawara – à mettre en lumière la violence sournoise des frontières qui progressivement s'instaure entre riches et pauvres sur l'île Maurice. Les uns s'accaparant les espaces de liberté auquel jusque là tout un chacun avait accès de sorte que, excès du capitalisme aidant, le paradis des uns devient progressivement l'enfer des autres.

Propos carré

Dans la salle de l'exposition internationale des Rencontres de Bamako, la série Beach du photographe réunionnais Yo-Yo Gonthier, semblait de prime abord ne pas correspondre à la thématique des frontières, axe autour duquel s'articulait cette manifestation biennale. Pourtant elle y répondait, mais tout en discrétion.

Sur les cimaises du musée le spectateur pouvait admirer 6 grandes photographies de format carré - le format de prédilection de l'artiste - le tout disposé en carré, décidément... La lecture de ces images se fait comme on lit une bande dessinée, soit vignette après vignette, image après image. En premier lieu, si le spectateur fait le choix d'une lecture classique de la gauche vers la droite, on voit une plage déserte mais attrayante. Puis, sur la seconde image un panneau indicateur signale la présence de caméras de surveillance sur la plage. Mais on n'y prête pas outre mesure attention. Simple signe plastique peut-être pense-t-on sur l'instant. Ensuite vient une vue de la même plage mais prise sous un autre angle. Et là, on s'aperçoit que des barrières bordent par endroit la plage et en interdisent l'accès. Le panorama suivant nous en dit un peu plus puisqu'il figure un poteau métallique au sommet duquel est juché une caméra de surveillance, le tout maquillé de manière à donner l'illusion d'un palmier. Le décor est planté et le propos se fait plus clair lorsque vient ce que le spectateur peut considérer comme la dernière image à savoir, la seule sur laquelle apparaît une figure humaine mais vu de dos. Il s'agit d'un gardien en uniforme kaki portant casque colonial sur la tête et talkie-walkie à la ceinture. Plage sous surveillance donc.

La série comprend initialement un nombre plus important de photographies, mais comme c'est bien souvent le cas dans les expositions de l'envergure des Rencontres, elle est morcelée. Toutefois, dans le cas présent, le propos de l'artiste, même s'il n'est vu que de façon partielle, reste lisible. Il y manque cependant toute une série de photographies sur lesquels l'on aurait pu voir ce qui constitue en quelque sorte le pendant à cette privatisation progressive de cet espace de liberté que sont censés être initialement les plages. Il s'agit de petites baraques de commerçants ambulants installer non loin de la plage. Elles illustrent, du point de vue de l'artiste, un contrepoint à ces zones privatisées. Le photographe parle lui de poches de résistance face à la domination capitaliste actuelle.

Paradis perdu

Ce qui fait la force de ces images, outre leur qualité plastique, c'est la manière dont elles abordent la question de la frontière. Mais il s'agit bien plus que de frontière, il y est question de ségrégation, de séparation, de marginalisation. Le photographe ne dénonce pas tant la violence des rapports entre riches et pauvres, il la pointe du doigt, en révèle le côté sournois, lent et progressif. Dans un premier temps, il semble nous inviter à la contemplation d'un paysage balnéaire mais au final nous nous retrouvons face à des murs de protection érigés qui nous interdisent toute évasion. La violence qui sourd de ces images en est d'autant plus percutante. Il se dégage de l'ensemble une sensation de promesse non tenue, d'espoir déchu. En jouant des oppositions entre paysage, disons, idyllique et système sécuritaire, entre sentiment de liberté et barrière, voire enfermement, cloisonnement, l'artiste nous fait pleinement ressentir ce que peut signifier pour d'aucuns la privatisation d'espace public que sont à l'origine les plages. Son discours est sans ambiguïté mais il n'est pas livré de façon brute.

Yo-Yo Gonthier n'impose pas son point de vue. Il attend du spectateur qu'il se fasse sa propre opinion. Il y va donc par petites touches discrètes et progressivement nous fait voir puis comprendre ce vers quoi il attire notre regard. Il est plus artiste du dévoilement que de la révélation. La vérité est un cheminement semble nous suggérer la manière dont-il procède.
Certes, nous savons que ce discours est tronqué du fait que sur la série, seules 6 photographies ont été sélectionnées. Ceci étant, le plasticien a beau avoir réalisé des images présentant ce qu'il considère comme des poches de résistance, il n'en demeure pas moins que le sentiment qui l'emporte est celui de la violence faite à ceux qui ne pourront plus accéder à ces espaces maintenant dédiés uniquement aux loisirs.

A force d'images

Yo-Yo Gonthier pratique la photographie comme une forme d'ascèse avec des règles qu'il s'impose et auxquels il ne veut déroger. Cela transparaît même dans le choix du format de ses images. Il fait de la photographie comme d'autres font de l'estampe ou de la calligraphie ou écrivent des haïkus. Ce n'est pas un hasard si la vague de Hokusai est une de ses images de chevet. Ce n'est pas un hasard non plus si bien souvent à l'origine de certaines de ses photographies il y a un dessin. Il veut aller à l'essentiel, ne pas se perdre en tergiversation. Mais dans le même temps, il ne se précipite pas. L'essentiel exige de l'attention, de la concentration. « Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation », dit l'adage. Yo-Yo Gonthier ne veut pas qu'il y ait de confusion, que l'on se méprenne sur ce qu'il veut dire. Ce qui par moment peut être un handicape, car il y a toujours un moment où il faut dire. Mais c'est de cette tension et de cette dynamique qu'il tire la force de son propos, la force de ces images.

Biographie

Yo-Yo Gonthier est né à Niamey, Niger, en 1974. Photographe plasticien indépendant, il questionne actuellement l’effacement de la mémoire dans une société occidentale où la vitesse, le progrès et la technologie semblent être les valeurs essentielles. Sa démarche plastique s’articule autour du surgissement du merveilleux à travers une interprétation particulière de la nuit et du clair obscur. Son travail d’investigation nocturne a déjà fait l’objet de plusieurs parutions et notamment dans l’ouvrage intitulé Les lanternes sourdes en 2004. Par ailleurs, il s'intéresse aux vestiges de l’Empire colonial français et aux frottements entre Histoire et mémoires. Une première étape du projet Outre-mer a été présentée à l’espace Khiasma, aux Lilas, en juin 2008. Il a présenté un travail de commande sur le monde créole dans le cadre de l'exposition Kréyol Factory en avril 2OO9 au Parc de la Villette. Sélectionné dans la section internationale lors de la dernière édition 2009 des Rencontres africaines de la photographie de Bamako, il y a exposé une partie de sa série intitulée Beach.

Dagara Dakin

Cette article est paru dans la revue Hommes et Migrations de décembre 2010

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