23/08/2011

L'amour du temps de Marvel


Lundi 8 juin 00h07. Tandis qu'il explosait ses yeux sur l'écran géant d'un cinéma situé quai de Seine à Paris, sa petite amie téléphonait et laissait un message sur son répondeur. L'homme araignée faisait des pirouettes dans le bleu du ciel de New York et sa bravoure l'amenait à sauver la vie de millier de personnes. Mais lui - à la manière de ses personnages, pâles et parfois sans consistance, qui ne sont jamais au bon endroit au bon moment et qui plus tard passe leur temps à le regretter, et tenter de réparer cette absence en la remplissant de trop de présence - lui n'était pas là pour recevoir un simple appel téléphonique. Quel information renfermait ce message au juste :

"Je m'en vais, je pars, je suis parti loin de toi, il y a bien longtemps de cela, mais aujourd'hui je m'éloigne encore un peu plus plus. Je pars pour la Yougoslavie, c'est ainsi, c'est de ma vie dont il s'agit. Rester avec toi reviendrait à fuir mon être et ça je ne peux me l'imaginer. Je ne le supporterai pas et toi encore moins. Alors voilà, bien qu'il y ait de cela maintenant deux mois que je sois retourné en Pologne, ce n'est que maintenant que je t'appelle. J'aurais voulu le faire bien avant mais, je ne voulais pas, pour me préserver de ne pas pouvoir partir aussi loin que mon coeur le désir. Et si ce geste signifie pour toi que je ne t'aime pas, alors c'est que décidément nous ne nous comprenons pas. L'amour de nos jours doit se jouer du temps et de la distance. C'est ainsi qu'ont évolué les relations humaines ces derniers temps, elles doivent s'accommoder de la distance sans quoi nous nous condamnons à nous vider de tout sentiment et de tous liens. Je t'aime, je pense à toi, j'essaierais à nouveau peut-être plus tard de te joindre"

À l'écoute de ce message, le personnage principal du récit ne sait plus quoi pensé. Il est un peu désarçonné. Que dire ? Que faire ? Tout cela a-t-il un sens qui lui échapperait soudain ? Rien de tout cela décide-t-il au final. Un sourire se dessine sur son visage qui dit la joie d'avoir pu entendre la voix de sa bien aimée. Un instant il ne sait quoi faire mais désormais il sait qu'elle l'aime et qu'elle l'a aimé. Cela lui suffit amplement, de toute façon, il n'a pas d'autre choix que de se contenter ou non de ce qu'elle lui propose, alors il l'accepte. Mais cet état ne dure pas longtemps. Le voilà qui se remet à cogiter : J'aime, mais je suis loin, loin de toi, loin de tout, loin de ce qui somme toute m'importe. Pendant que je me prenais pour un super héros voltigeant entre les tours de la "capitale du monde", la personne la plus anodine mais la plus importante à mes yeux se faisait la malle à mille et un lieu de moi. Sauver le monde qu'il disait ! Oui mais moi qui me sauvera ?"

Il est arrivé chez lui et le message clignotait sur le répondeur de son téléphone, un pressentiment étrange l'a alors envahit. Puis une question a fusée dans son esprit : "Et si c'était elle ?" Et oui c'était bel et bien elle. Seulement, alors qu'il s'attendait à ce qu'elle lui annonce qu'elle était dans un lieu où il pourrait la joindre plus tard, il n'en fut rien. Bien au contraire. Elle s'éloignait.

Lui qui avait toujours rêvé d'une histoire d'amour à distance, le voilà servi. Sa théorie concernant les relations à distance était somme toute simple : il pensait que cette dernière consoliderait les liens qui unissent deux êtres. Seulement le voilà qui se sens dépassé par la situation. C'est une chose que d'imaginer une situation, s'en une autre que de la vivre. À distance il ne faut pas trop faire dans les sentiments sans quoi on est condamné à ne ressentir que douleur et attente. C'est pourquoi durant une longue période de son existence le personnage principal avait enfoui ses sentiments au plus profond de son inconscient, inconscient qu'il était. Heureusement pour lui cette part humaine qu'il cherchait de la sorte à mettre en veille s'est réveillé par un bel été de l'année 1996. Il s'en souvient encore comme si c'était hier. Il se voit encore assis dans la solitude la plus complète de son bureau. Et voilà que la sonnette de son domicile se met à résonner alors qu'il ne s'attend à aucune visite. Il descend les marches et lorsqu'il ouvre la porte, par un de ses effets étranges que, bien souvent, seul le cinéma est capable de nous offrir, il voit se détacher à contre jour une figure féminine sous le charme de laquelle il tombe instantanément.

Les sentiments sont une alchimie qui sollicite la participation de tous nos sens. Voilà pourquoi nous employons l'expression tomber quand on est sous l'emprise de l'amour. La perte de nos repères est le fondement même de ce sentiment. Le personnage principal du récit à perdu ses repères le jour où il a rencontré cette femme qui aujourd'hui se trouve à une extrémité géographique autre que la sienne un peu comme à une autre extrémité du temps. Depuis ce jour là il apprend à vivre avec ses sentiments. Super pouvoir que les sentiments. C'est devenu sa force mais c'est également son point faible.

L'homme araignée tisse sa toile sur l'écran. Il renonce à l'amour. Notre personnage principal trouve ça beau, mais triste. L'homme araignée choisit sa destinée. Plutôt que l'amour d'un être cher, fait de sang, de chair et d'os, il choisit de sauver le monde plutôt que de ne s'attacher qu'à l'amour d'une personne. À cet instant précis du récit nous nageons en plein dans ce que ce que je nomme le complexe du héros et que décrit si bien le poète Rainer Maria Rilke dans son recueil intitulé les Élégies de Duino. "Le héros ne connaît que les haltes du repos de l'amour".

L'homme araignée choisit la masse plutôt que l'individu, et notre personnage principal de s'interroger en sortant de la séance : mais que choisit-il au juste ?

Voilà une bonne question.

La masse étant par définition indéfinie, j'en conclu en toute logique que l'homme araignée ne sait pas ce qu'il choisit. Ou alors qu'il ne veut pas choisir. Je serais même tenté de dire qu'il ne choisit rien, qu'il ne choisit pas, et qu'il se trompe en croyant choisir en agissant de la sorte. Il ne s'engage pas. Il refuse l'engagement. Or peut-il prétendre vouloir sauver le monde en refusant de s'engager? Pour qu'elle raison sauverait-il le monde alors qu'il n'est pas capable de s'investir pour une seule personne? Alors qu'il n'est pas près à défendre la singularité, qui elle seule permet d'extraire l'individu de la masse, le responsabiliser et donc par ricochet se responsabiliser lui-même. Comment pourrait-il s'investir pour le monde, et entier de surcroît ? Alors que lui, qui est un monde à lui seul, n'est pas entier ? D'ailleurs parlons de l'entièreté du monde selon les fictions américaines. Bien souvent elle se limite au seul territoire de l'Amérique du Nord. À croire que le monde se limite à cette inique intimité, cette unique partie du monde, le leur. Pas de vision réellement panoramique ou si peu.

Sur le message laissé sur le répondeur du personnage principal, sa petite amie n'a pas laissé de numéro ou il pourrait la joindre. Alors bien qu'il était heureux d'entendre sa voix pleine de poésie et de musicalité, voilà que l'angoisse le saisi soudain. Une flopée de questions se déverse dans son cerveau. Il se sent perdu. Aurais-je un jour de ses nouvelles? se demande-t-il. Comment vais-je faire ? Qu'allons nous devenir ?

Son amie appelait d'une cabine téléphonique et il est impossible au personnage principal de trouver un quelconque moyen à sa portée pour la joindre. Il ne lui reste donc plus qu'à espérer que cette dernière tiendra la promesse qu'elle lui a faite de le rappeler dès qu'elle le pourrait. Alors il saura à quoi s'en tenir. D'ici là, disons qu'il nage dans le flou artistique le plus complet. Mais le message ne se termine pas exactement comme ça. En réalité son amie n'avait plus d'unités et sentant que bientôt elle ne pourrait plus lui parler, elle s'est mise à compter bizarrement, soit dit en passant : "Zéro, zéro, zéro" puis la ligne a coupé. Les combinés raccrochées. Fin de toutes combines. Adieu ma concubine.

Héros et zéro vont bien ensemble n'est-il pas ?

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