12/09/2012

Des nouvelles de nous face au vide

Et dans l’étroitesse de ce bureau, mi ovale, mi rectangulaire et sans âme, je me retrouvais confiné dans la juste dimension à laquelle toute une société s’évertuait à cantonner mes ambitions. Devant moi se tenait cette femme, ni belle, ni tout à fait moche, ni vieille, ni jeune. Mi figue, mi raisin, en somme. Entre deux âges, comme on dit. Hésitant à choisir entre l’adulte qu’elle prétendait être mais que son immaturité émotionnelle réfutait à grands cris. Des cris qu’elle s’évertuait à faire taire. Et l’enfant qu’elle ne supportait pas mais qui pourtant ne demandait pas mieux que de pouvoir enfin exister.

L’enfant en elle cherchait à prendre son envole, tandis que l’adulte lui interdisait tout droit à la parole. Il faut dire que nous étions dans la sphère des adultes responsables. Et moi j’étais là, devant cette forme immature, lui exposant mes doléances. C’était un peu comme si je m’adressais mes propres condoléances au sujet de ma propre mort dont ma présence en ces lieux était l’expression, l’illustration. Me confronter à elle s’était d’une certaine façon aller à l’échafaud. Prendre le fameux ascenseur.

Mes impressions avec le recul ? Aucune amertume, juste un constat froid et détaché. Il faut apprendre à laisser, nous dit-on. Alors j’ai décidé, aussitôt que je me suis retrouvé loin de cette sphère, de lâcher du laisse. Cependant, une sorte de tristesse sans borne liée à ma déception m’a longtemps taraudé. J’étais déçu non pas du résultat de cette confrontation d’avec elle mais de constater que malgré toutes les précautions que j’avais prises je n’avais pas pu éviter le piège de la déception. Pourtant dès le début de ce face à face, et bien avant cela encore. Je veux dire dès le premier jour où j’avais accepté de côtoyer l’univers de cette femme, je m’étais dit : «Ne crois rien des leurres de cette environnement, ne te laisse pas prendre au piège, petit homme. Ici tout n’est que mensonge et ne va pas croire qu’il y ait ici herbe qui pousse pour toi et dont tu puisses tranquillement te repaître». Pourtant rien n’y fit. Et me voilà donc là face à elle lui faisant part de ma déception.
 N’attends rien et tu ne seras pas déçu, ah cette formule, comme elle est facile à prononcer mais si difficile à mettre en pratique. La dame est là face à moi, et je sais que je peux encore partir, mais je ne sais pour quelle raison obscure ma grande naïveté me laisse toujours croire qu’il y a encore moyen de négocier alors que tout indique le contraire. Alors que tous les signaux hurlent à la mort qu’il faut que je déguerpisse et que sans quoi je risque l’humiliation. Je plonge donc. Mais la dame elle, elle sait que si elle accepte un quelconque compromis cela reviendrait à admettre qu’il y avait bien quelque chose qui clochait au niveau des termes du contrat. Le déni ne pouvait être que sa seule issue. En conséquence de quoi elle nia en bloc et ne voulu rien entendre de ce que je disais.

Tout était dit dès le départ. Et la situation dans laquelle je me retrouvais était prévisible et même prévu. Il y avait eu des signes avant coureur que j’aurais pu analyser et comprendre. Mais j’ai fermé les yeux sur ces évidences, ces preuves criantes. Par exemple, la rapidité avec laquelle les choses avaient été pliées lors de notre première entrevue pour la signature de ce contrat - lequel m’autorisait à traîner dans les parages, à côtoyer les splendeurs du palais - aurait du me mettre la puce à l'oreille. Cela en disait suffisamment long pour que je ne m’étonne pas de la tournure que cette aventure à pu prendre par la suite. Je me souviens bien que j’étais arrivé tout comme aujourd’hui mais forcément avec un peu plus de fraîcheur puisque je n’avais pas encore été broyé par la machine. J’étais donc arrivé tout frais en m’imaginant que lors de cet entretien j’allais pouvoir emporter le morceau. Prétentieux que je suis, enfin je dis prétentieux, d’autres auraient dit malheureux que je suis. Dans les faits, j’ai juste eu le temps de m’asseoir et puis elle a étalé ses conditions, elle m’a dit ce qu’elle attendait de moi puis au moment ou j’allais l’ouvrir pour préciser mes conditions, déjà sa voix s’élevait qui me souhaitait la bienvenue. J’étais avaler il ne restait plus qu’à me recracher. Assis dans ce bureau aux formes indéfinissables, l’heure où je devais être recraché était venue et c’est moi qui avait sollicité ce rendez vous et qui l’avait obtenu. La situation était ironique. Je ne me connaissais pas cette dose de masochisme, mais voilà, tout laissait à croire que j’en étais arrivé à tendre l’autre joue. J’étais donc venu pour prendre ma claque car la première ne m’avait pas suffit ou mieux encore peut être en avais-je tiré un quelconque plaisir, aussi j’étais venu en redemander.

Je n’étais pas en mesure de négocier quoique ce soit. C’était à prendre ou à laisser.
Dans ce bureau informe, assis devant elle, je débitais mes âneries, la larme à l’œil, parce que ce qui devait arriver arriva. Les effets de la claque s’étaient fait ressentir et bien évidemment j’étais venu me plaindre de la violence des échanges en milieu tempéré. Elle me regarde avec une froide distance. Elle songe sans doute à cet instant : « Qu’est-ce donc que ce liquide transparent qui coule sur les joues de cet individu assis devant ma personne ?». Ne trouvant de réponse aux interrogations que suscitent mes larmes, elle balance deux ou trois méchancetés d’un air détaché. Juste histoire de changer de sujet. Des méchancetés que savent si bien ajuster les esprits tordus, dépouillés de tout affects mais qui affectent d’en avoir et qui à leurs oreilles sonnent comme des compliments. Et moi je songe intérieurement : « Des machines… Je suis face à une machine».

Bien évidemment, juste au cas où, elle précise : «  Ne prenez pas ça pour vous », Nothing personal, comme disent les anglophones. « Les affaires, sont les affaires » Business as usal… Cela va de soi.
La terre continuait de tourner et mes mots sonnaient creux.

Je parlais dans le vide. Mieux, je parlais face au vide. Et au fond je me demande, rétrospectivement, pourquoi elle s’était donnée la peine de venir au rendez-vous. Je veux dire qu’elle aurait tout aussi bien me téléphoner et me dire : « Écoutez Monsieur, rendez-vous donc dans mon bureau à 14 heures précises. Je serais à l’autre bout de la ville, mais soyez à l’heure sinon cela ne marchera pas. Une fois dans mon bureau vous vous assoirez sur la chaise face au bureau. Ne vous y trompez surtout pas, ne prenez pas mon siège. Je sais comment la tentation est grande pour les gens de votre espèce. Car je sais que tout le monde me l’envie cette place. Mais sachez que je serais prête à tuer pour la garder et je l’ai déjà fait. Je n’hésiterais pas à recommencer si besoin ait. Donc prenez la chaise en face de mon bureau et tenez vous tranquille. Puis commencer à parler. Je ne viendrais pas. Je ne serais pas là, je veux dire que j’ai un autre rendez-vous beaucoup plus important. D’autres chats à fouetter comme on dit dans le langage populaire. Mais il est important que nous ayons vous et moi le rendez-vous que je vous fixe. Il se trouve juste que je ne serais pas là mais c’est du pareil au même. Faites juste comme si j’étais là. Une fois que vous aurez fini, vous sortirez et surtout n’oubliez pas de fermer la porte derrière vous. Une façon symbolique de clore le rendez-vous. Merci ». Le mur des lamentations que je suis se mûre dans ses lamentations.

Je me demande si je n’aurais pas été capable d’accepter ce deal totalement absurde. C’est que certaines personnes savent si bien se fiche de votre gueule que vous en venez à admirer la subtilité avec laquelle elle vous ont embobiné et que, comme fasciné par cette intelligence vicieuse, vous tombez doublement dans le panneau.

Quoiqu’il en soit, je suis sorti du bureau sans avoir rien obtenu. Pire, je venais de me faire traiter de con avec le sourire et avait par la même occasion perdu le peu de dignité qu’il me restait encore. Elle m’a laissé sortir en me faisant croire qu’elle me faisait une fleur, alors que dans les faits elle m’envoyait valdinguer dans les roses. Au dehors le temps m’apparaissait en gris clair pourtant c’était l’été et le soleil brillait tout ce qu’il pouvait. J’ai eu des bas et puis des hauts. Je me suis vu refaisant les mêmes erreurs et j’ai traîné mon ennui le temps que dure ces choses là. Et comme d'habitude face à une injustice qui m’est faite je me retrouve désarmé, voire décontenancé. Toujours surpris de constater que les hommes sont égaux à eux-mêmes. «Hey, hey ! Réveille toi garçon, ici ce n’est pas le pays des Bisounours ».

Ces mots, quelqu’un d’autre que moi aurait pu me les dire si j’avais pris la peine de chercher cette personne. Mais j’étais épuisé de courir sans cesse après un genre de référent, une sorte de figure paternelle ou tout simplement adulte pour me rappeler la dure loi de l’existence. Et puis j’étais grand désormais, je pouvais donc m’infliger moi-même cette fameuse claque que je m’évertuais à aller chercher ailleurs. Je me suis donc dis ces quelques mots, histoire de bien faire entrer dans ma caboche qu’il était temps pour moi d’accepter la vie et ses travers. J’ai ensuite repris mon baluchon et suis parti à la recherche d’une terre plus fertile et moins aride, bien que je commence sérieusement à douter de l’existence d’un tel lieu.
Les critiques, les comiques, les journalistes et autres observateurs de nos sociétés ont beau écrire, dire, hurler même parfois que le monde est injuste, mais a bien y regarder, il arrive toujours un moment où blasé, ils comprennent qu’il ne sert pas à grand chose de s’emporter. Juste constater et prendre les mesures qui s’imposent.

Parfois, quelques degrés de séparation peuvent faire le plus grand bien. Sans quoi on fatigue. Le monde est un vaste champ d’injustices et ce n’est ni aujourd’hui ni demain que les choses s'arrangeront. Et plus tôt on accepte cela et moins on perd son énergie et son temps à chercher à trouver un sens à l’existence. Et surtout plus vite on commence à chercher une parade pour ne pas se retrouver face à ce sentiment d'impuissance qui nous étreint dès lors que l'on se retrouve dans ce cas de figure.
Dire que j’en ai vu d’aucuns tellement abîmés par leur incapacité à prendre acte de ce fait que cela transpire des moindres replis de leur être. Mais face au vide, s’il y a bien une chose dont il ne faut pas s’enquérir c’est bien des nouvelles de nous. Car seul le silence vous répondra et qui attend du vide qu’il porte un message à son endroit, ferait mieux de creuser sa tombe sur le champ.

Loin de ce bureau dont le lointain souvenir me laisse une vague impression, je sais juste qu’une longue route m’attend.


Dagara Dakin

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