02/01/2012

Retour au pays

Et que ceux qui savent partir le fassent moi, je ne sais pas le faire et tant pis. Je me reconnais dans cette incapacité à me mouvoir dans ce sens, ou plutôt de cette manière.

Je préfère rester ici avec moi-même et cette limite... Appelez-la comme vous voulez, incapacité, conservatisme, frilosité, peu m'importe.


Je n'ai rien contre ceux qui partent, tant que cela est de leur propre volonté et qu'ils y trouvent un plaisir particulier qui enrichi leur personne où je ne sais quoi d'autre. Que l'on me laisse à moi aussi la possibilité, le droit de ne pas vouloir suivre le mouvement de cette foule.

J'aime regarder la mer et je pense que je ne m'en lasserais jamais...

Je suis si souvent parti... Alors laisser moi rester, là, a vous regarder partir belle amie et vous autres aventuriers qui rêvez d'ailleurs.

Il faut bien que quelqu'un tranche pour que chacun puisse prendre la part qui lui revient. Je ne sais pas partir, et par dessus tout je ne souhaitais pas partir, alors je suis resté, bien que je sois physiquement parti...

Exilé, tel est le nom dont ils m'ont alors affublé. Je sais quel enseignement j'ai tiré de ce voyage involontaire, il s'exprime ici dans mon refus de vouloir partir. C'est contre ma nature que l'on est allé. Longtemps j'ai été contrarié dans mon mouvement intérieur.

Mais bon, vous trouverez un nombre incroyable d'individus qui vous diront que si je n'avais fait ce voyage en exil, ma réflexion ne serait pas aussi avancé sur la question. Peut-être, peut-être pas.

Laissez moi croire que je peux remettre cette affirmation en question. Je sais qu'on ne refait pas l'histoire, on en tire un enseignement ou non. Disons que j'ai fait ma part.

Tant que je n'avais franchi la limite, tant que je ne m'étais pas retrouvé pris dans la houle, avalé par la foule, puis au final recraché par elle, je demeurais un point en interrogation. "?".

Qu'est-ce donc ? Est-ce, un individu comme les autres ? Un animal peut-être ? À-t-il une âme, ou n'en a-t-il point ?

Tant que je n'étais pas en mouvement je demeurais sujet d'une interrogation, qui n'étais pas mienne en réalité. Je demeurais sous le regard de l'oeil qui scrute, qui s'interroge plus sur lui-même en réalité que sur ce qui se trouve face à lui. Car pour moi, les yeux des miens ne me renvoyait qu'une réponse, j'étais digne d'être aimé, j'avais une valeur, il fallait juste que j'exploite mon potentiel.

Dès l'instant où je me suis mis en mouvement, j'ai tenté d'échapper aux regards ou plutôt à la surveillance d'autrui, plus précisément à celle du regard dominateur. Je voulais un regard protecteur pas une surveillance rapprochée. Dès lors, je me suis mis à retourner la question à l'envoyeur.

Et c'est quoi au juste une âme ? Qui a vocation à en définir les contours... ? Et de quel droit, de quel autorité ? Qui a conféré ce pouvoir, qui n'est pas une petite chose, une petite affaire, à ce juge suprême ?

Et l'homme, je veux dire tout homme, n'est-il pas un animal ? Après tout il vit bien dans un environnement, non ? Un environnement qui n'est pas différent de celui dans lequel les autres êtres vivants évoluent par ailleurs. Alors, qu'à-t-il de plus ou de moins ? Et, ce plus ou ce moins, le place-t-il nécessairement dans une posture de domination ?

N'a-t-il pas au contraire vocation, à prendre soin, plus qu'à ne vouloir plier le tout à son plaisir égoïste, ce d'autant plus que l'on sait qu'il y a un ordre naturel et que s'il vient à être troublé cela engendre forcément des troubles qui ont nécessairement des répercutions sur cet être qui se croit au-dessus de tout. Mais pas des soupçons, là dessus, il n'y pas de doute à avoir. La posture ou plutôt l'attitude dominatrice ou la volonté de toute puissance est forcément suspecte.

Que cherche-t-il à cacher, ou à fuir en lui qu'il ne veut voir apparaître dans l'environnement qu'il veut maîtriser au point de le mépriser et de se méprendre sur les autres, qu'il considère comme ses sujets ?
L'individu qui veut tout maîtriser a-t-il des questions à se poser qu'il refuse de se poser ?

Beaucoup d'interrogation, en fait. Et dès lors que l'on prend conscience de cela, on comprend tout le travail que le dominant ne veut pas faire sur lui même. Et dont-il ne peut pourtant se départir, ne serait-ce que pour son bien être personnel.

Nul, n'est le fardeau de personne, nul ne peut être réduit à une dénomination tel que "toute la misère du monde ou une part de celle-ci", et nulle n'a intérêt adopter cette posture par ailleurs. Cela se produit pourtant, car dès lors que l'un prend une posture qui soumet ou est une injonction à l'autre de se soumettre au rôle qu'il lui attribue. Ne serait-ce que pour ne pas en venir immédiatement aux mains, l'autre accepte le rôle que l'on lui attribue, le temps de trouver la parade pour échapper à la domination. Nous interagissons, c'est ainsi et pas autrement. Par conséquent si nous souhaitons établir des rapports ou des échanges équitables, respectueuses de tout un chacun, il nous faut agir en conséquence. À chacun sa croix et à chacun sa route, son chemin. C'est là ce que l'on nomme destin, destinée, destination, etc.

Nous sommes aujourd'hui à la croisée des chemins, nos routes se séparent, mais comme nous vivons ici bas, dans ce monde mondialisé, nos routes se recroiseront forcément. Nous verrons alors si nous avons tiré chacun un enseignement du chemin, du trajet parcouru.

En définitive, c'est Jean-Paul Sartre qui avait raison, on ne devient que dès lors que l'on arrive à composer avec ce que la vie à fait de nous. Ni remords, ni regrets. Juste se contenter d'aller dans le sens d'une amélioration de soi.

Encore faut-il savoir faire la part des choses entre ce qui nous aide à mieux vivre avec les autres et ce qui nous en empêche. Car s'il est courant de dire de l'humanité qu'elle est perfectible, il n'est pas précisé, ou si peu souvent, que cette amélioration peut aussi se faire dans le sens du pire. Ce qui n'est pas petit, comme on dit de là d'où mes parents sont originaires et où je m'en retourne, d'ailleurs.

Je ne saurais dire si je m'y plairais. S'il se trouve, je n'aurais qu'une envie, celle de déguerpir. Car, je ne pense pas que l'on puisse ne pas avoir été changé profondément, altéré, dans le sens où finalement après avoir été quelque part comme le "Moi, laminaire" de Césaire, plante, algue accroché à son rocher, se nourrissant uniquement des sédiments portés par les courants, il n'est pas dit que ce que l'on ingère ne nous ingère pas ou ne nous digère pas en retour...

Si tout est mouvement et plus précisément, aller-retour, cela ne m'étonnerait pas. Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme. Et, je suis bien heureux de me savoir transformé, et non perdu. Je ne me préoccupe pas comme d'aucuns de chercher à savoir si cette formule est de Lavoisier ou de quelqu'un d'autre, puisqu'elle m'aide à vivre et que le plus important se trouve là.

Mais dans un monde régit par l'argent, et la "science", il faut citer ses sources, déposer sa marque. Une manière comme une autre de localiser, de situer géographiquement et de déplacer des territoires physiques vers le champ du mental. Poser d'autres limites à la réflexion et donc à la recherche et à l'imagination.

Et là à nouveau on se retrouve face à ce vieux combat dans lequel nombre de nos prédécesseurs se sont engouffrés et sur lequel ils se sont souvent cassés les dents. Tout simplement parce qu'ils ne concevaient pas que l'on puisse concilier science et émotion, raison et imagination.

Les frontières sont minces et poreuses, sinon elles deviennent prisons. C'est cela qu'il importe de savoir ici, aujourd'hui. Je m'en vais donc, je repasse une autre frontière, je passe d'un bord à l'autre.

Et tout ça pour me rendre compte que les influences sont là depuis bien longtemps et que l'un est autre et que l'autre est un. En définitive, nous sommes tous uniques, mais tous semblables dans notre unicité.

Dès lors, l'union et l'unité restent envisageables et peut, voire même, "est", souvent et continue de se réaliser. Puisque tout est mouvement en définitive.


Dagara Dakin, in Retour au pays, page 2, aux éditions Factuel, 2011-2012.

1 commentaire:

  1. en forme de réponse

    je suis la vision dominatrice, intrusive, desséchante, inutile,
    les raisins secs de la colère,
    j'en veux à ceux qui partent
    non pas parce qu'ils partent mais pour le vide,
    pour les étoiles qui bougent ensemble
    dans le ciel, pour l'ailleurs qui seul permet la double vision,
    la double absence, la vision en retour,
    la vision boomerang, au visage, dans les dents,
    bien enfoncé comme un rappel,

    les yeux rivés dans des oeillères et la tête dans un serre cœur,
    je suis celui qui n'accompagne jamais dans les aéroports
    ceux qui partent, qui déteste les mouvements de foule,
    qui préfère l'immobilité prétendument naturelle,
    mais ne souffre aucun changement de saison,
    j'arrive de l'hiver, je vais à l'hiver pour l'hiver en oubliant chaque soleil qui étincelle fil des pas de ceux qui partent,
    je ne les reverrai jamais, eux me reverront toujours
    avec sourire et compassion,

    je ne domine que des places vides,
    mon impérialisme s'est dissout en moi,
    chacun est à soi-même son empire,
    j'ai bâtis mes idéaux sur des fictions,
    ceux qui partent ont tort de me donner raison,
    même ton vide renforce ma présence au monde,
    je suis celui qui a toujours raison face au silence et tourne le dos
    pour ne pas voir les couleurs qui éclatent sur son passage,
    le roi a toujours été nu en son royaume,
    j'ai même tué le roi
    et laissé libre la place du trône,
    j'ai dix siècles de retard

    nKo 2012

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