15/08/2012

L'invention de soi ne va pas toujours de soi

« Malaxe, malaxe, les omoplates » A. Bashung

Connaissez vous ces moments assez étranges, voire particuliers, au cours desquels vous êtes traversés par des émotions sans cesse changeant. Un peu comme si votre humeur était en train de connaître des avaries.

À cet instant précis, vous voudriez exprimer à votre partenaire ou à vos proches ce trouble dans lequel vous êtes plongés mais vous êtes obligés de vous taire. D’une part, parce que vous ne trouvez pas les mots justes pour le leur exprimer. D’autre part, parce que vous vous retrouvez face à leurs injonctions tacites de faire silence, qui - bien que légitimes - vous laisse à penser qu’ils ne saisissent rien à vos états d’âme. Sentiment d'être incompris qui vous laisse croire que vous êtes étrangers à ceux qui vous entoure. Mais peut-être qu’en réalité, si ça se trouve, ils sont, eux-mêmes, en train de lutter contre leurs démons intérieurs. Vous faites dès lors l'expérience de cette formule qui veut que certains combats ne peuvent se mener que dans le silence rare qu’offre l’espace de recueillement qu’est l’intimité, la solitude. Et puis, que vos proches vous comprennent ou non ça ne change rien à l’affaire. Ce n'est pas pour autant que ce combat là vous n'aurez pas à le livrer. Leurs exprimer cela n’avancerait donc à rien. Il faut affronter sa vérité.

C’est une histoire entre vous et vous seul. « Si je te parle de ma soif cela étancherait-il la tienne ? » Interroge Miss-tic. La réponse ne fait aucun doute, ce n'est pas un mystère, ni au sud ni à l'ouest. Encore moins au nord ou à l'est.

La vie intérieure n’est pas chose qui se partage à tout bout de champ. Il y a en elle quelque chose qui relève de la cuisine personnelle. En parler à vos amis proches ou lointains ce serait comme chercher à faire étalage de ce qui se joue dans les coulisses de votre personnalité. Ça n’a pas de sens. On se fabrique aussi dans la solitude. Un peu comme le sculpteur qui s’apprête à réaliser une œuvre. Il ne peut se permettre d’être tout le temps dans le dialogue.

Il y a toujours un moment où il doit se taire pour faire et ensuite donner à voir. Cela n’empêche qu’il y a de tout temps eu des échanges épistolaires entre les artistes et leurs amis ou commanditaires. Que l’on songe seulement à Van Gogh écrivant à son frère Théo pour lui faire part des difficultés qu’il rencontre à exprimer un sentiment, une émotion dans l’une de ses créations.

Cela étant, c’est sans doute ce sentiment d’incompréhension qui pousse les uns et les autres à créer. L'artiste fabrique du lien. Si le langage commun ne suffit pas pour se faire comprendre, il faut trouver d’autres biais. Inventer un nouveau langage, de nouvelle façon de faire. D'où l'importance des artistes dans un siècle émotionnellement chargé. L'art est le lieu de la fabrique du langage.

« Et parler pourquoi faire, quand il y a les mains pour se comprendre », chante Shurik’n, l’un des leaders du groupe I AM. Il dit bien là l’importance des mots, sans quoi c’est aux poings que les choses se règlent. Je devrais plutôt dire « se dérèglent ». Il nous faut inventer de nouveau mode de communication quand ceux dont nous usions jusque l'à ne suffisent plus à dire notre époque. La glose est ennuyeuse, et nulle ne cherche à ennuyer son auditoire. Par conséquent, il faut trouver les mots justes. La précision, telle la tenue correcte, est exigée. Il faut bannir de tout propos la circonlocution ou les circonvolutions inutiles. Le beau, c’est la quête de la justesse, et celle de la justice en société.

Ces combats que nous menons dans le secret de nos alcôves sont un élément de la construction de soi. Car c’est là, dans cette forge que se construit à deux mains l’identité de l’individu, homme ou femme de demain. "Malaxe, malaxe..." Chante Bashung.

Ce que révèle cette nécessité de se taire et de faire silence dit bien aussi l'importance de l'échange et de la parole donnée et prise. Car c'est dans l'écoute et l'échange que l'on se construit. C'est un aller-retour, un dehors dedans en somme. Les frontières sont poreuses et perméables. Ce ne sont pas des murs contre lesquelles viennent s'écraser des pensées en construction. 

Savoir quand l'ouvrir et quand la fermer, l'un n'allant pas sans l'autre mais pas toujours de soi. 

À titre personnel, la première chose que j'ai apprise avant de m'étaler là devant vous aura été de mesurer la valeur du silence. Et c'est une expression persane qui me l'a enseigné. Il m'a bien évidemment fallu en percer le sens afin de me l'approprier. Ce que l'on comprend nous appartient, c'est ce qu'il y a de bien avec les mots, c'est qu'ils sont à ceux qui en trouve le sens.

Je me souviens être resté bouche bée quand je me suis retrouver face à cette formule que j'ai du relire au moins dix fois. Tellement elle me semblait belle. La beauté amène tout naturellement à une volonté de comprendre, en tout c'est ainsi que je l'entends. Car si cela raisonne en moi, la question qui suit est : qu'est-ce que cela dit de moi, qu'est que je peux en apprendre en ce qui me concerne ?

Cette phrase était un petit miracle dans la tempête intérieure qui m'habitait alors. Elle dit : " La parole sème et le silence récolte ". 

C'est marrant qu'au moment où j'avais le plus envie de parler, tellement mes idées allaient en tout sens, que ce soit une formule sur le silence qui m'ait arrêté nette dans mon élan. J'allais me répandre et cette citation me demandait d'apprendre à faire la part des choses. Si je n'ai rien à dire, autant me taire et récolter ce que le monde avait à m'offrir. Et une pensée incohérente ne sème rien que l'ennui, des propos vagues et creux qui disent le creux de la vague.

Aujourd'hui est venu pour moi le temps de la véritable moisson... Celle ou je peux semer et récolter en retour.

Alors ... "Dehors, tout le monde dehors..." Ah éternel Bashung !

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