Cannes, Samedi 15 mai 2002.
Plus qu’un jour et le Festival clôturera ses portes. Jusqu’ici tout va bien, j’ai plutôt pas trop mal assuré mais il est temps que tout ça s’arrête. J’ai bien tenu mon rôle du type sympa qui dit bonjour à tout le monde et passe son temps à se montrer courtois. J’ai rendu à toutes les stars le respect que je leur devais de m’avoir fait rêver durant toute mon enfance et au delà.
Cannes... Cannes et ses clichés : la plage, les palmiers et les stars à la pelle ou si j’osais... Comme s’il en pleuvait. Car pour ce qui est de la pluie aujourd’hui nous avons été servi. C'est drôle, le commun des mortels s’imagine toujours que dans un lieu comme celui-ci les gens sont à l’abri des intempéries. Mais on n’est pas au cinéma et Cannes n’est pas une île perdue au milieu du Pacifique et entourée de lagons bleus.
“ Tu verras mon vieux, me disaient mes amis, Cannes c’est super : le soleil, la plage, les cocotiers et des filles toutes plus sublimes les unes que les autres ”. Bref, le parfait dépliant pour touristes en manquent de soleil. Hé bien, c’est raté. Pour le soleil il faudra repasser.
D’accord, jusque là les filles ont défilées. Mais les gars dans leur joli costume de portier ne sont pas vraiment leur centre d’intérêt. Elles veulent toutes palper de la star. Rien qu’aujourd’hui, j’en ai côtoyé de loin une bonne dizaine qui attendaient devant l’hôtel. Et, bien qu’au fait que les vedettes allaient bientôt se faire la malle, croyez vous qu’elle se seraient intéressées à moi ? Croyez vous qu’elles se seraient rabattus sur les restes? Que nenni ! J’avais beau leur offrir mon plus joli sourire, rien à faire... Et vas-y que je te demande si je n’aurais pas vu Léonardo sortir de là ou si Vincent Cassel ne traînerait pas dans les parages. S’en était exaspérant. J’ai d’ailleurs failli en perdre mon sourire et m’énerver.
On m’avait pourtant mis en garde : “ Le plus difficile à supporter quand on est portier à Cannes, c’est d’avoir cette sale impression que les gens ne vous remarque pas. Vous êtes aussi transparent sinon plus encore que ces portes vitrées que vous passez le plus clair de votre temps à ouvrir et fermer, alors restez zen. ”
Il savait de quoi il parlait notre coach Bernard, “ dix ans de métier ”, expression qu’il ajoutait toujours, m’a-t-on dit, à cette longue litanie qu’il débitait avec une sorte d’amertume dans la voix. C’était chaque année la même rengaine qu’il servait à tous les nouveaux arrivant au poste de portier “ des stars ”. Je ne sais pas pourquoi mais quelque chose me dit qu’il n’avait pas vraiment l’intention de finir ses jours à ce poste. Moi, en tous les cas, je ne finirais certainement pas mes jours là. Je veux ces filles que les stars accrochent à leurs bras comme d’autres des bijoux. Je veux ces flashes qui aveuglent. Non pas que je sois spécialement pour que l’on idolâtre ma personne mais puisque nous sommes dans une société ou le talent de l’acteur ne s’exprime souvent dans la presse que de cette manière alors, je veux montrer que moi aussi j’ai du talent. Je suis acteur, pas portier. Si je tiens la porte ces derniers temps c’est que c’est le dernier moyen que je me suis accordé pour percer dans le milieu.
Mon plan était simple, profiter de ce job qui s’était offert à moi comme par enchantement pour me faire connaître et décrocher un rôle dans un film ou une série. Enfin...pour commencer quelque part. Voilà près de quinze ans que je vais de casting en casting sans vraiment réussir à convaincre. Et d’entendre me dire quasiment à chaque fois que j’ai du talent certes, mais que le rôle n’est pas fait pour moi, c’est comme si je voulais endosser un habit qui n’était pas à ma taille. Comme si finalement je m’étais trompé de rêve.
J’étais sur le point de tout laisser tomber, tout plaquer et faire le premier boulot qui se présenterait à moi quand on m’a proposé ce poste. J’en étais au point de non retour, mon rêve devait s’achever, j’allais me réveiller et je savais déjà que le réveille serait rude. Heureusement, mon oncle à penser à moi lorsqu’il a fallu remplacer au pied levé le gars qui tenait le rôle qui fut le mien pendant ces derniers quinze jours.
Portier à Cannes, ça en jette sur un CV, du moins j’espère...
Quoi que vu comment ça se passe, j’en doute. Demain je tiendrais une dernière fois la porte à ces messieurs dames qui s’affichent sur les écrans et j’entrerais dans la ronde avec eux. Et, dans quelques années c’est à moi qu’on tiendra la porte et à qui on dira bonjour avec un grand sourire.
Pour tout vous dire, aujourd’hui j’ai profité d’une pause pour faire mon numéro et décrocher enfin un rôle qui annoncera le début d’une carrière que je sais prometteuse. Je suis ambitieux et j’irai loin.
Oui, lors de la pause je me suis permis d’aller frapper à la porte d’un grand réalisateur. Bien sur, quand il m’a vu son réflexe premier a été de refermer aussitôt. Par chance, j’avais prévu le coup. Aussi, je lui rejouais une scène d’un de ces films préférés. Sachant que c’était mon dernier coup de poker, j’y mettais toute ma sincérité. Au bout d’un moment, qui m’a semblé une éternité, il a finit par rouvrir et m’a regardé faire mon numéro. Puis je l’ai vu esquisser un sourire. Derrière lui, se tenait sa femme qui était venue se joindre au spectacle. Quand j’eus fini de faire l’acteur, ils n’ont pu s’empêcher de m’applaudir. Par la suite, je me suis présenté et nous avons pu discuter cinéma. Je lui ai dit que je cherchais un rôle et il m’a demandé ce que je faisais en attendant. Ce à quoi j’ai répondu que c’était moi le gars qui lui tenait la porte depuis plus d’une semaine. Il a rit. Que pouvait-il faire de plus ?
Peu après nous sommes sortis, ce qui bien évidemment ne rendit pas mon oncle fou de joie. J’abandonnais mon poste et je le mettais dans l’embarras. C’est lui qui m’avait recommandé. Mais il savait aussi que ce n’était pas pour finir portier que je m’étais taper tout ces cours de théâtre et ces années de galères à Paris allant de figuration en figuration, de casting en casting et rêvant sans cesse du grand jour ou le déclic se ferait. Je l’ai vite rassuré en lui promettant d’être fidèle à mon poste demain dimanche. Je lui doit bien ça.
Quelque chose me dit que mes amis ne me croiront pas quand je leur raconterais comment j’ai fait mes débuts au cinéma. J'aurais un petit rôle dans Le Dahlia Noir, c'est le titre du film sur lequel il travaille. C’est drôle, je ne sais pas pourquoi mais Brian de Palmas à trouvé que je serais parfait dans un rôle de portier. Il est allé jusqu'à me charrier en prétendant que j'aurais du postuler pour un rôle sur le film de science fiction de Roland Emmerich qui a pour titre Stargate, la porte des étoiles. Sous prétexte que le réalisateur était un bon ami à lui. C'est un vrai farceur ce gars là. Je l'aurais imaginé plus austère. Je lui est rétorqué que ce n'aurait plus été une fiction mais un documentaire. Et on éclaté de rire.
Bref, demain, je peaufinerais mon jeu et la pluie, qui en ce moment ne cesse de tomber sur la ville à la palme d’or, ne sera plus qu’un vieux souvenir.
À Cannes le soleil il faut l’avoir dans le cœur, s’il n’est pas prévu dans le décor. Quant aux filles mieux vaut ne pas y songer un instant, Tom Cruise est toujours dans les parages venu faire la promotion d’un film de Steven Spielberg dans lequel il joue, le veinard. Franchement je ne sais pas ce qu’elles lui trouvent. Brad Pitt à la rigueur mais Tom Cruise… Faut pas charrier. Mais, qui sait, un jour quand je me retrouverais à l’affiche avec lui alors peut-être que je changerais d’avis. En attendant ce jour là, je suis ma bonne étoile ...
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